Double anniversaire

En cette froide nuit de novembre, le vent soufflait, faisant ainsi craqueler le bois de certains cabanons composant les dortoirs de la Campbell Academy. Un léger courant d'air vint même se glisser sous la porte de chambre d'Irina, longeant le parquet jusqu'à effleurer la peau de la demoiselle qui s'était endormie sur le sol, entourée de babioles diverses et variées. Quelques cartons étaient éparpillés dans la pièce, tout droit venu de sa villa familiale de Manhattan, maintenant inhabitée.

Des frissons lui fit ouvrir les yeux avant qu'elle ne s'étire pleinement, restant assise par terre. Au passage, elle détecta une douleur dans le bas de son dos, probablement dû au fait d'avoir dormi à même le sol, très peu propice à cette pratique. C'était loin d'être agréable. « Quelle idée... » soupira-t-elle, quelque peu blasée. « Et il me reste encore tant de choses à ranger. » constata-t-elle, fatiguée. « Bon, encore un carton et je me mets au lit. » s'imposa-t-elle afin de ne pas finir par s'endormir sur le parquet de sa chambre encore une fois.

De ce fait, elle se redressa, puis s'étira de nouveau, laissant la majorité de ses articulations craquer les unes après les autres suite à cette sieste des moins confortables. Ainsi, elle commença par trier le bazar qui jonchait le sol, rangeant tout cela sur certaines étagères et autres tiroirs "fourre-tout". Elle se dirigea ensuite vers un carton déjà ouvert, poursuivant le rangement des diverses choses qu'il pouvait bien contenir : vêtements, bouquins, bijoux et même des jouets de son enfance. Certains d'entre eux la faisaient sourire, lui permettant de faire remonter de doux souvenirs à la surface de sa mémoire.

À présent, il ne restait plus qu'un épais album poussiéreux au fond du carton qu'elle venait tout juste de vider. L'attrapant de ses deux mains, la brune vint souffler dessus à pleins poumons, la poussière lui revenant instantanément au visage. Elle éternua alors un grand coup qui la fit même lâcher l'album sur l'un de ses pieds, ce dernier perdant une grande partie des photos qu'il contenait. « Merde ! » grogna-t-elle en serrant les dents. « Mais quelle empotée ! » poursuivit-elle rageusement à son égard.

Aussitôt, alors qu'elle se mit accroupie pour réunir les clichés éparpillés sur le sol en un petit tas, l'un d'eux vint attirer toute son attention, au point même qu'elle en oublia la douleur. Il s'agissait d'une photo, une photo d'anniversaire, le sien et celui-ci de sa défunte sœur : Sarina. « Eh oh ! J'suis pas morte ! » C'était leur dixième anniversaire et pourtant, elle s'en souvenait comme si c'était hier, rien qu'en regardant longuement ce moment figé dans le temps sur un simple morceau de papier.


« Maman, maman ! Sarina m'a pincé la cuisse. »
« Non, c'est même pas vrai. »
« Si, c'est vrai. Tout ça parce que je suis plus belle que toi. »
« Oh, l'autre ! N'importe quoi ! On se ressemble d'abord. »

Les jumelles se chamaillèrent encore de longues minutes, tandis que leur pauvre mère tentait désespérément de prendre une photo-souvenir parfaite de cet instant qui - normalement - se devait d'être mémorable. « Allons, allons, les filles ! On se calme. Vous êtes aussi belles l'une que l'autre mes petites perles. » affirma de façon non-objective Abigaïl, la célèbre Miss Waldorf à cette époque. « Maintenant, souriez mes chéries. »

Pour le plus grand plaisir de leur génitrice, elles affichèrent toutes deux leur plus beau sourire. Mais c'était sans compter sur l'intervention de Sarina qui, à la fin du décompte, écrasa la tête d'Irina en plein dans le gâteau d'anniversaire soigneusement cuisiné avec passion et amour par leur mère. De son côté, Irina attrapa le plateau et renversa ce qui restait du gâteau sur sa sœur afin de se venger. « Ça suffit ! Puisque c'est comme ça que vous traitez le gâteau d'anniversaire que je vous ai préparé, vous êtes consignés dans vos chambres jusqu'à nouvel ordre. » vociféra Abigaïl, agacée. « Mais maman, c'est elle qu- » tenta Irina pour se défendre, le visage encore couvert de gâteau. « Tout de suite ! » s'écria-t-elle en haussant le ton.

Ce fut donc avec une moue attristée qu'Irina alla se rincer le visage avant de regagner sa chambre. Tandis que Sarina, elle, alla se changer avec un air blasé, bien que plus ou moins satisfaite de son comportement puéril. Chacune sur leur lit respectif, dans des pièces séparées, les jumelles n'avaient guère d'autres choses à faire que de repenser à leur mauvaise conduite. Ainsi, après qu'une heure entière se soit écoulée environ, elles ouvrirent toutes deux leur porte de chambre. Leur regard se croisa aussitôt et, instantanément, elles se comprirent l'une comme l'autre : elles culpabilisaient beaucoup trop.

De ce fait, Irina et Sarina se rendirent discrètement auprès de leur gouvernante, lui expliquant toute la situation et ce qu'elles envisageaient également pour se faire pardonner. Elles voulaient concocter un gâteau, toutes seules, comme des grandes, mais elles avaient besoin d'un adulte pour les surveiller malgré tout. La gouvernante leur montra donc une recette assez simple à suivre, les laissant ensuite en parfaite autonomie et ne les aidant que pour les tâches potentiellement dangereuses.

Les jumelles s'appliquaient et mettaient du cœur à l'ouvrage, cela se voyait et se ressentait vraiment. Bien que, parfois, il leur arrivait de mettre une dose de trop d'un certain ingrédient et, d'autres fois, pas assez. Mais la gouvernante ne releva pas leurs erreurs, car après tout, elles voulaient que ce soit leur propre gâteau, leur création rien qu'à elles, leur préparation personnelle. Les minutes passèrent et vint rapidement le moment de mettre au four la pâtisserie. Pendant ce temps, Irina et Sarina s'équipèrent de produits d'entretien dans le but de nettoyer la cuisine qu'elles venaient de mettre en pagaille. Elles avaient vraiment décidé de faire les choses bien comme il faut.

« C'est bientôt prêt, mesdemoiselles. » informa la gouvernante, tandis que l'une était en train de récurer le plan de travail et que l'autre faisait tant bien que mal la vaisselle. « Vous vous êtes débrouillées comme des cheffes. Votre mère va être fière de vous. » félicita la vieille dame bienveillante. Suite à cela, elle sortit le gâteau du four lorsque la cuisson prit fin. Il ne leur restait plus qu'à le décorer comme bon leur semble. Ainsi, pour éviter de ce chamailler, les jumelles prirent la sage décision de décorer chacune un côté. « Il a l'air trop bon. » constata Irina, satisfaite de leur travail d'équipe.

Puis, peaufinant les derniers détails, elles placèrent ensuite quelques bougies dessus, que la gouvernante alluma soigneusement. Les deux petites filles attrapèrent ensuite le plateau contenant leur création gustative, le portant ensemble en se dirigeant lentement vers le salon, où se trouvait leur mère. Aussitôt, elles se mirent à chanter la célèbre chanson d'anniversaire très bien connue de tous avant de le déposer fièrement sur la table basse positionnée juste devant le canapé.

Très surprise et émue à la fois, cette dernière ne put s'empêcher de sourire bêtement. « Merci beaucoup mes petites chéries, mais ce n'est pas du tout mon anniversaire aujourd'hui. » À ces mots, les jumelles lui sautèrent dessus pour la câliner de toutes leurs forces. « Mais si maman ! » vint contredire Sarina. « C'est notre anniversaire à toutes les trois, maintenant. »


Tout en rangeant soigneusement cette dernière photo souvenir dans l'album, Irina vint essuyer les quelques larmes qui commençaient à s'écouler le long de ses joues. Ce n'était pas tous les jours qu'elle avait l'occasion de se remémorer de tels souvenirs de son enfance. Elles avaient vécu si peu de moments comme celui-ci, bien trop peu. « Hmpf ! Espèce de fragile... » provoqua Sarina, d'un ton un peu moins agressif que d'habitude. « Ferme-la idiote... » répliqua Irina, à voix basse, avant de souffler sur les bougies encore allumées et de se mettre au lit, gardant précieusement l'album photo contre elle toute la nuit.

Codage par Libella sur Graphiorum