Une vaste salle, à laquelle les murs nus de béton armé donnaient un aspect de bunker. Ce qui contrastait sensiblement avec sa fonction, pourtant. Celle d’une cellule, certes … Mais avant cela, d’une chambre. Une chambre dans laquelle une créature naine, aux capacités physiques dénuées de sens, se reposait tranquillement sur son matelas. Allongée sur le dos, les mains derrière la nuque et les jambes croisées, le sujet numéro 13 regardait les fissures dans le plafond sans vraiment les observer. Une télévision déversait un flot continu d’image, de dialogues et de musiques, mais la demoiselle aux longs cheveux rouges n’y prêtait pas attention. Elle avait des périodes, ces derniers temps, durant lesquelles plus rien ne parvenait à la distraire, et où l’ennui profond qui en résultait la laissait amorphe, peu énergique. Ce qui était toujours mieux que les crises presque maniaques où sa tristesse et les émotions négatives qu’elle accumulait, en tant que tueuse captive vivant uniquement pour tuer les ennemis d’autres, partaient en spirale négative autoalimentée qui la jetait au plus profond du désespoir. Une immortelle, sans but propre, sans libre arbitre, sans attache, ou souvenir d’une vie passée « normale » … Elle ferma les yeux, et laissa une nouvelle fois le sommeil l’emporter.

Un buzzer l’empêcha cependant de somnoler profondément plus de quelques dizaines de minutes, et la fit se redresser sur son lit. Se massant la nuque d’une main griffue, elle observa la triple porte blindée de sa cellule s’ouvrir, strate après strate, pour lui donner accès à un sas. Se levant de son matelas, elle traîna ses pieds préhensiles jusqu’à la petite salle, les soulevant uniquement pour ne pas trébucher sur le matériel de sport qu’elle laissait un peu n’importe comment dans la pièce. Une fois dans le sas, les portes se refermèrent derrière elle. Elle se déshabilla et enfila sans rien dire l’équipement qui l’attendait sur la petite table à côté d’elle. Une combinaison de combat, bien moins confortable que le pyjama qu’elle portait … Mais beaucoup plus solide. Des mitaines adaptées à ses mains, d’autres pour ses pieds, s’apparentant à des guêtres. Un gilet balistique léger, qui faciliterait la tâche à son corps pendant la mission : elle n’aurait pas à se soucier des armes les plus légères. Et un casque … qui n’était pas là pour la protéger. En saisissant les deux moitiés, elle les plaça de chaque côté de son crâne, et les emboîta dessus. Une commande à distance verrouilla le mécanisme, l’ensemble se pressurisa, et sa tête fut de nouveau enfermée dans ce couvre-chef si particulier.

Contrairement à sa veste pare-balle, le casque n’avait pas pour unique but d’encaisser lames, balles et explosions. C’était une … Mesure de sécurité, pour ses « employeurs ». Si jamais le sujet numéro 13 voulait déserter, n’agissait pas dans les intérêts de la mission, ou manquait tout simplement trop de respect à la mauvaise personne hors de sa cellule … Plusieurs centaines de volts lui traversaient le cerveau, à un ampérage suffisamment bas pour ne pas provoquer de dégâts irréparable … Mais en gardant un courant suffisant pour lui faire perdre tous ses moyens et ressentir une vive douleur. Voir, si l’électrisation était maintenue, pour la mettre K.O. Au moins … Ce modèle était plus confortable que les premiers qu’elle avait eu à porter. La seconde porte du sas s’ouvrit, indiquant qu’elle pouvait sortir. Deux gardes l’attendaient, et l’invitèrent à les suivre. Elle obtempéra sans un mot. Un couloir. Un escalier. Un autre couloir, plus long. Un virage. Ici et là, ils croisaient des individus qui travaillaient ici. Certains s’écartaient avec un léger sursaut. D’autres faisaient comme si le trio n’existait pas. Mais aucun ne parvint à se retenir de regarder la petite silhouette masquée, ne fut-ce qu’un instant.

Les deux gardes s’arrêtèrent de chaque côté d’une porte, et invitèrent le sujet 13 à la traverser. Ce n’était pas la salle de briefing, là où elle recevait d’habitude ses ordres de mission … Passant la porte, elle entra dans une salle … extrêmement sombre. Un des gardes passa la main dans la pièce, et alluma la lumière. La petite mutée eut le réflexe de lever un bras devant ses yeux, avant d’émettre un grognement de remerciement. On ferma la porte sans lui répondre. Elle regarda le battant pendant quelques secondes … Puis s’en désintéressa, et se tourna vers le reste de la salle. Cette dernière, profitant des très larges dimensions de l’usine dans laquelle elle avait été construite, possédait une profondeur d’une trentaine de mètres environs. Le mur du fond était dans un état déplorable, d’ailleurs … La petite tueuse souffla par le museau. Une large cible métallique recouvrait un endroit du béton défoncé. Un stand de tir. Des tables étaient alignées pour séparer la zone de tir de celle où les gens pouvaient évoluer. Et d’ailleurs, une valise renforcée plutôt large se trouvait sur ces dernières … S’approchant, la cornue l’ouvrit. Un fusil, sans surprise. Encore que … un pistolet ? Elle avait un doute. Sortant l’arme, elle l’observa avec une légère perplexité.

Ah. Je vois que vous avez déjà fait connaissance avec votre prochain jouet.

Pistolet-fusil dans les bras, la petite tueuse se retourna. Ce qu’elle avait au début prit pour un autre mur tout bête était en réalité une vitre, derrière laquelle des lumières s’étaient allumées … Une salle d’observation. Dans laquelle se tenaient trois personnes, dont celle qui avait pris la parole. Le contre-jour ne permettait pas vraiment de voir de qui il s’agissait … bah, qu’importe.

C’est un prototype développé spécialement pour vous, sujet numéro 13. Basé sur un fusil sniper américain. Nous l’avons raccourci, allégé, renforcé, et rendu légèrement plus puissant. La mission qui vous est assignée la semaine prochaine sera difficile … Et nous pensons que cette arme vous facilitera grandement la tâche. Un atout dans votre manche, tant pour le nettoyage à venir que pour de futures missions, si vous l’appréciez.

La petite cornue baissa les yeux. Elle était très mauvaise en estimation de poids : sa super force lui donnait l’impression de soulever 2 kilos, là où l’arme en pesait plus ou moins le quadruple. Ceci dit, elle savait que la taille de ce « pistolet », qui s’approchait du mètre, n’était pas juste pour la frime : il devait tirer du très gros calibre.

étant donné vos réussites éclatantes à vos dernières missions, et votre coopération pour effectuer ces dernières, nous nous sommes dits qu’une sorte de récompense était de mise. Faites attention : il a un recul … Et bien. A la mesure de la puissance de ses tirs. Vous ne devriez pas avoir de mal à percer aussi bien les protections personnelles que les véhicules, si tant est que vous sachiez vous en servir. C’est aussi pour cela que nous vous avons fait venir ici : histoire que vous puissiez vous entraîner. Qu’en dites-vous ?

La petite mercenaire ne répondit rien, baissant juste la tête sur l’arme. Loin de répudier les armes à feu, celle qu’elle tenait n’était pas la première qu’elle ait jamais eue dans les mains. Au contraire même : elle se saisit du verrou, le fit reculer pour mettre une balle dans la chambre, et mit l’arme en joue vers le sol avec une aisance presque effrayante. Elle l’éloigna ensuite un peu d’elle pour l’observer une fois encore. Puis, son regard passa à la vitre derrière laquelle se tenaient ses « patrons ». Ses propriétaires. Ceux qui l’exploitaient. La vitre qui les séparait devait être blindée … S’ils étaient assez confiants pour se montrer d’aussi près, elle devait être plus que blindée, en fait. Capable de lui résister, à elle. Elle soupira. Leva le canon. Pressa la détente.

La balle parcouru la vingtaine de mètres qui la séparait de sa cible, et percuta la plaque de métal avec un bruit distinctif. Baissant le fusil, la petite tueuse, qui avait très légèrement titubé vers l’arrière, haussa un sourcil. Non seulement l’arme l’avait fait reculer elle, malgré ses 150 kilos, mais en plus, elle semblait avoir percé l’alliage sur lequel était peint une cible de taille et forme humaine. Un sourire naquit sur son visage. Le premier depuis bien longtemps. Saisissant le verrou, elle le tira d’un mouvement sec, leva de nouveau le canon de l’arme, et visa la tête cette fois.

Ce que beaucoup de gens oubliaient parfois vis-à-vis de la russie, c’était que cet état à la superficie démesurée pouvait, durant l’été, avoir des températures particulièrement élevées. Et en l’occurrence, c’était actuellement le cas. Assise à l’arrière d’un SUV à la structure renforcée et aux vitres teintées, la petite terreur regardait les bâtiments défiler, en essayant d’ignorer l’inconfort provoqué par les quelques rayons du soleil qui filtraient à travers le verre gris sombre. D’un côté, son esprit cherchait à se concentrer sur le briefing qu’on lui avait fait, deux ou trois heures plus tôt. Une opération simple : elle devait tuer le plus de monde possible dans un circuit de combats clandestin qui refusait de verser des dividendes à la bonne organisation. Le plan du quartier, une description détaillée du bâtiment dans lequel son « travail » allait débuter, des descriptions d’une bonne partie de ses adversaires potentiels : elle avait eu une quantité plus qu’appréciable d’informations. De l’autre … même si une vitre l’en séparait encore, elle avait rarement l’occasion d’observer le monde extérieur. De ses propres yeux, en tout cas. Et le tremblement régulier de la voiture avait un côté relaxant qui, s’il ne l’endormait pas, la détendait trop pour qu’elle ait envie de se prendre la tête. Ça, et la chaleur. Sa peau pouvait résister à des températures très élevées, certes … mais son alter n’avait pas rendu les canicules agréables. Et le casque qu’elle portait, qui masquait son visage derrière une vitre sans teint, n’aidait pas.

Le véhicule s’arrêta doucement en ville, et l’interphone qui permettait au conducteur de parler à la passagère grésilla. La petite tueuse pouvait très bien le voir à travers la vitre qui séparait l’avant de l’arrière, mais les séparations quasi-hermétiques laissaient très mal passer le son. Non pas que le sujet 13 avait vraiment envie d’écouter ce qu’on lui disait. Le même blabla abrutissant qu’on lui avait déjà servi tant de fois déjà. Si elle s’éloignait trop du lieu de l’opération, la puce dans son casque le signalerait immédiatement. Le passager à l’avait disposait d’un ordinateur portable, et pouvait en temps réel lui fournir des renseignements par radio. Le client avait lourdement insisté pour qu’elle épargne plusieurs des personnes présentes, mais n’avait pas allongé tant de billets que ça : elle n’avait pas vraiment à s’embêter si la situation devenait trop compliquée à gérer. Donc, pas de vraie restriction en termes de dommages matériaux ou collatéraux. Elle rentrait, tuait tout ce qu’elle pouvait, et serait attendue à un point d’extraction situé à trois rues de là. Elle marqua son approbation d’un simple hochement de tête à la fin de ces rappels, et se saisit du sac de toile à côté d’elle, le passant en bandoulière en retirant sa ceinture. La portière se débloqua avec un clic sonore, et elle l’ouvrit avant de bondir sur le trottoir. D’un mouvement de sa queue, elle ferma la porte, et entendit la voiture redémarrer pour la laisser seule.

L’air était brûlant. Le soleil, sans pitié. Le béton noir du sol avait emmagasiné, et redistribuait des quantités désagréables de chaleur. Et la petite tueuse n’attendit pas une minute de plus avant de s’engager dans la ruelle ombragée qu’elle avait repéré pendant le briefing. On ne lui avait pas donné de plan d’action très détaillé, mais elle en avait visualisé un dès qu’elle avait eu une idée précise d’à quoi servaient les bureaux, dans les étages. Le bâtiment, comme tous les immeubles du quartier quasiment, était un grand pavé aux murs de briques, aux fenêtres régulières – bien qu’un certain nombre d’entre elles étaient barrées avec des planches – et à l’aspect vieillot. D’une facilité impressionnante à escalader, lorsqu’on avait un peu d’expérience. Sans attendre qu’un potentiel passant ne débarque pour jouer les témoins, la petite apocalypse, puisque c’était son surnom médiatique, se mit à grimper le long de la façade tel un gros cafard.

Une fois arrivée au quatrième et dernier étage du bâtiment, elle n’eut aucun mal à trouver une fenêtre ouverte par laquelle se glisser. La zone servait visiblement à stocker du matériel : elle était déserte. Quittant la large pièce, elle inspecta l’endroit, mais ne trouva que des archives, un appartement – dont elle força la serrure pour rentrer – et un ou deux bureaux. Pas un chat. Ignorant l’ascenseur, elle descendit d’un étage via l’escalier (qui s’enroulait autour de la cage d’ascenseur) et fit à peu près le même constat: l’open space contenait beaucoup de paperasse, mais aucune présence humaine. Autant par curiosité que pour prendre son temps, la petite tueuse fouilla quelque peu les dessertes et autres bureaux. Des archives de paris, des feuilles de comptabilité, des fiches ressemblant à des CV des différents combattants de l’arène … ça semblait aussi plat et ennuyeux que des travails normaux, en substance. Enfin. L’idée que se faisait la petite tueuse de « travails normaux ». Cependant, alors qu’elle allait bientôt descendre un étage de plus, des pas devinrent audibles depuis l’escalier, ainsi qu’une discussion. Refermant le tiroir dans lequel elle avait déniché une réserve de barres chocolatées de piètre qualité, le sujet 13 se tourna vers les deux nouveaux arrivants. Qui, en la remarquant, s’immobilisèrent. Il y eut une seconde de battement.

Sur le bureau qu’inspectait la naine quelques instants plus tôt se trouvait un ouvre lettres métallique, légèrement ouvragé, dont elle saisit le manche dès qu’elle perçu le moindre geste du côté des deux mafieux. Tel un éclair argenté, l’objet moyennement tranchant mais très pointu traversa la pièce, et se ficha dans le lobe frontal d’un des deux gangsters, qui poussa un gémissement désarticulé de souffrance, perdant l’équilibre et s’écroulant en arrière. Son collègue avait tourné la tête pour le regarder. Voir cette lame, qu’il connaissait un minimum, être enfoncée si profondément le choqua quelque peu, au point de figer sa main sous le pan de sa veste. Lorsqu’il décolla ses yeux de la vision funeste, ce fut pour voir une forme floue et grandissante s’approcher de lui bien trop vite. Le sujet 13 percuta le torse de l’homme avec un craquement mou, le fit décoller du sol et voler sur un mètre ou deux, et atterrit sur lui, le duo glissant sur le sol sur quelques mètres supplémentaires avant que le crâne du mafieux ne percute le mur. La petite tueuse aux yeux rouges, qui avait fait en sorte de percuter le mafieux avec ses pieds, fit quelques pas sur le côté avant que le sang qui commençait à imbiber la chemise de l’homme ne lui tâche les guêtres.

Vu le creux dans son torse, il n’avait probablement pas une côte d’intacte, et le contenu de sa cage thoracique ne devais pas être beau à voir. Se tournant vers celui à qui elle avait jeté un couteau dans le front, la rousse le vit, de façon atrocement maladroite, essayer de saisir le couteau qu’il avait dans le front. En quelques pas, elle se rapprocha de lui. Un de ses yeux fixait le vide … et à vrai dire, toute une moitié de son corps ne bougeait plus vraiment. L’autre donnait l’impression d’être un pantin, manipulé par un marionnettiste maladroit et peu talentueux. Un instant, elle songea à mettre fin à ses jours en lui écrasant le crâne … Puis changea d’avis. Levant le pied, elle « saisit » le manche de l’ouvre-lettres, et le tira lentement pour l’extirper de la plaie. Puis, via ce qui ressemblait à un coup de pied, elle le renfonça dans sa gorge, perçant une artère, et retira aussitôt son pied. Il ne se défendit même pas. Un peu de sang coula de son front, beaucoup plus se mit à gicler de sa gorge, formant une large flaque autour de son col. Mais au moins la petite terreur s’en sortit sans se salir les pieds. Elle se détourna du corps mourant et se dirigea vers l’escalier dont les deux cadavres étaient sortis, une minute plus tôt à peine.

Le 2nd étage du bâtiment était, tout comme le 3ème, un très large open space au fond duquel avaient été aménagés quelques bureaux plus « privés » séparés du reste par des murs dont la moitié supérieure était faite de larges vitres. Il y avait en revanche bien plus de monde ici : 5 ou 6 personnes, dont au moins deux portaient ouvertement un gilet pare-balles. Le bruit des discussions ne parvenait pas à couvrir une sorte de bruit de fond indistinct provenant du sol. La cohue provenant de l’arène, sûrement. C’était une bonne nouvelle : la petite tueuse n’avait probablement plus à se montrer aussi discrète qu’aux étages supérieurs.

Qu’est-ce que tu fous ici, toi ? Tu fais partie des combattants, t’es nouveau ? Le battle royal a commencé depuis bien 10 minutes déjà, p’tit con, et les étages supérieurs vous sont interdits d’accès !

La voix qui venait de l’invectiver était rocailleuse. Elle provenait d’un garde large d’épaules, mais au visage sec. Un gros dur classique. Le sujet numéro 13 ne fut, du reste, pas surprise d’être confondue avec un des membres de l’arène clandestine : entre sa tenue renforcée, son casque, et son aspect hors norme, elle avait probablement une apparence très similaire à ceux qui se frappaient pour gagner leur croute, quelques mètres plus bas. Elle aurait peut-être pu mener une vie pareille, elle aussi … Mais avant qu’elle ne réponde, ou même ne finisse de descendre l’escalier, un autre type qui la regardait se leva, montrant ses deux paumes à plat comme en signe de paix. Clairement, lui était terrifié par cette vision. Pourtant, il parvint à parler avec une certaine assurance.

Hey, heum … « Little apocalypse », c’est ça ? C’est comme ça qu’on t’appelle ? Écoutes, je … Je bosse pas ici, j’suis là que pour gérer un pari ou deux, de temps en temps … Si … Si tu me laisses partir, j’te poserais pas de souci. J’peux même te faire un peu de pub, hein ? Dire que c’était bien toi qui a fait le job, et … T-tu sais, j’ai un alter qui me permet de projeter un hologramme de ce que j’ai vu et mémorisé, alors au moins tu –
Yuri, qu’est-ce que tu baragouines espèce de con ?

Le type, « Yuri » donc, ajusta rapidement son costume bon marché, et se concentra un peu, projetant devant lui une reproduction fidèle de la petite terreur, telle qu’elle était apparue quelques instants plus tôt en descendant les marches. L’originale observa sa copie intangible, pencha la tête sur le côté, pesant le pour et le contre … Puis eut un mouvement de tête, désignant l’escalier qui descendait, non loin du sien. Le mafieux de bas étage regarda ses « collègue » un instant, puis décolla ses fesses du bureau contre lequel il les appuyait auparavant pour s’en aller prestement, descendant les marches deux à deux. Pratiquement personne n’avait saisi ce qui venait de se passer. Le garde, ceci dit, poussa rapidement un grognement sonore, et posa une main sur le revolver qu’il portait à la hanche.

Bordel … à quoi ça rime, ça ? Et d’abord, t’es qui, au juste ? « Little apocalypse » ? C’est un nom de scène ?

La naine hocha lentement la tête de manière positive, puis descendit les quelques marches qu’il lui restait, et se mit tranquillement à marcher vers le groupe. Lorsqu’elle fut à 5 ou 6 pas de distances du garde, il leva la main, lui faisant signe de s’arrêter. Elle obtempéra sans le quitter des yeux. Son casque ne permettait pas vraiment de savoir où se fixait son regard, mais la direction dans laquelle pointait son crâne, elle, était explicite.

Et ben … En tout cas, on peut pas dire que t’as pas un certain style, petit … te. Petite. J’avais mal vu, de loin. Il s’attendit probablement à une réponse, mais n’en reçut aucune. Au bout d’une dizaine de secondes, cela le fit rire. T’es du genre muette, ou tu parles juste pas énormément ?
Il y a juste peu de questions auxquelles j’ai vraiment envie de faire l’effort de répondre.
Le grand russe ricana grassement, avant de se tourner vers ses camarades, poings sur les hanches. Eh. He he. Vous avez entendu ça les gars ? « faire l’effort de répondre ».

Un bruit lui fit tourner de nouveau la tête vers la petite tueuse. Ce n’était même pas une action consciente, juste un réflexe pur, provenant plus de la moelle épinière que du cerveau. Un genre de détonation. Le son du sol qui explose à cause d’une prise d’impulsion bien trop violente. Il y avait aisément 60 centimètres de différence, en termes de taille, entre la petite tueuse et le garde, et pourtant leurs visages étaient à la même hauteur.

Le poing de la petite apocalypse percuta le crâne de l’homme avec un craquement mou, et brisa aussi bien la tête du garde que sa nuque, qui prit un angle étrange à cause de l’impact. L’autre homme portant un gilet balistique se mit immédiatement à défaire la sécurité de son pistolet pour le sortir de son holster et mettre en joue, mais avant qu’il n’ait pu proprement aligner ses yeux, la mire métallique dépolie et sa cible, cette dernière avait de nouveau posé pied à terre, et projetait lui projetait dessus sa dernière victime d’un coup de paume dans le thorax. Le corps vola et percuta l’arme à feu, empêchant le garde de s’en servir. Avant qu’il n’ait pu convenablement se dégager du corps de son camarade, 160 kilos de fureur condensée lui sautaient dessus, prenaient la main qui tenait le pistolet, et forçaient pour pointer ce dernier vers le menton de son propriétaire. Dans le feu de l’action, il n’eut pas le temps de retirer son doigt de la gâchette : deux coups partirent, et le second lui fit sauter la cervelle.

Pour les gens restants dans la salle, le choc. L’action s’était déroulée en une seconde et demi, à peine deux. A peine assez pour déclencher la réaction instinctive classique en cas de danger : combattre ou fuir. A la surprise de la naine, un des comptables prit la première option. Elle l’ignorait, mais malgré son alter tout à fait adapté et des compétences plus que notables en matières de combat, il avait été recalée à l’entrée de l’arène par le propriétaire de cette dernière, qui tenait à ce que le beau-frère de sa fille garde toutes ses dents, un visage et des oreilles plus ou moins intactes. Pourtant, ledit beau-frère pouvait à volonté durcir sa peau en la changeant en un style de métal scintillant et fort lourd : si cela l’empêchait de bouger, il n’avait cependant pas de problème à fermer le poing, le changer en arme contondante, et à frapper avec. Ce qu’il fit d’ailleurs immédiatement. Sauf que la petite tueuse bloqua son coup d’une main, et sans vraiment sembler en difficulté. Le jeune homme en costard cravate hésita, sa main bloquée dans celle pourtant plus petite de l’intruse. Cette dernière fit reculer son bras, tirant le poing métallique, et par conséquent le bras et le corps qui y étaient attachés. Son autre main, dont les doigts se rigidifièrent à l’extrême, partit vers le coude du jeune homme, et « tranchèrent » ce dernier. Ou plutôt, le tranchant de la main de la petite tueuse avait appliqué une pression suffisamment extrême pour venir à bout de la résistance de la chaire, des os, des nerfs et des tendons. Décrivant un arc de cercle dans la giclée de sang qu’elle venait de provoquer, la main fonça, cette fois bout (pointu) des doigts vers l’avant, vers le torse du comtable. Elle traversa son sternum et son cœur. Pendant un instant, le jeune homme regarda la vitre teintée et courbée qui masquait le visage de sa tueuse. Il eut l’impression de voir, fugacement, deux petites braises brûlantes de rage au fond de ce casque noir. Puis elle retira son bras, et se désintéressa totalement de lui, le laissant choir et sombrer dans l’obscurité glaçante de sa propre mort, tandis qu’elle rivait son regard vers ses deux autres victimes. Une avait commencé à courir vers la cage d’escalier. Une chaise balancée avec force le fit chuter à terre en se brisant contre son dos. Marchant sans se presser entre les bureaux, la petite tueuse se saisit d’un des pieds de la chaise ... Et frappa. Le métal percuta la chaire. Encore. Et encore. Il se déforma. Rougit. Puis, lorsqu’elle fut certaine que les blessures causées étaient létales ... La petite tueuse jeta le tuyau tordu derrière elle, et se tourna vers sa dernière victime.

Cette dernière avait également fui ... Mais dans un coin de la pièce. Là, recroquevillée, elle cherchait avec des mains tremblantes à utiliser – probablement pour la première fois de sa vie – une arme à feu de calibre trop petit pour que la tueuse ne s’en inquiète. A pas lents, elle se rapprocha de lui. Le vit, en essayant d’armer son flingue en tirant sur la culasse, démonter cette dernière par accident. Poussant un glapissement pitoyable, le mafieux lança son flingue sur la petite terreur. Elle encaissa sans broncher. Levant ses mains tremblantes, il se concentra, poussant un cri. Là par contre, la tueuse marqua une pause ... Et regarda derrière elle. Les objets qui se trouvaient sur les bureaux tremblaient. Ils se mirent à bouger ... Tous vers elle. Elle grimaça et leva un bras pour protéger son crâne ... D’une pluie de trombones, stylos, crayons, documents plus ou moins bien remplis, et deux ou trois ordinateurs portables. Une capacité à attirer les petits objets, visiblement. Trop peu puissante. Défaisant la sangle autour de son torse, la petite tueuse décrocha enfin son sac, et en extirpa son « pistolet ». Ce dernier était aussi absurde qu’elle. Trop gros, lourd, et long pour être pratique. Clairement destiné à tirer des munitions largement supérieures à ce qui était nécessaire pour tuer un humain. Ceci étant ... depuis l’apparition des alters sur la planète, et vu la disparité que ces derniers causaient dans la population ... Que signifiait « être humain » ?

Elle lui posa le canon sur le cœur, sans écouter ses sanglots. Son corps encaissa la majeure partie du bruit de la détonation. Il eut un sursaut digne d’une électrocution, puis retomba, un trou du diamètre d’un doigt dans la poitrine. Mourant, les yeux ouverts, des larmes roulant le long des joues. La tueuse prit une profonde inspiration ... puis laissa le canon de son arme retomber, l’embout épais frottant sur le sol. Elle soupira, souleva le flingue pour le tenir dans ses deux bras, et inspecta la pièce du regard. Tout ceci avait été plus bruyant que prévu ... Mais elle n’avait normalement plus besoin d’être discrète bien longtemps. Ceci dit, au moment où elle allait partir, elle remarqua quelque chose ... d’intéressant.

ça ressemblait à une porte de cellule. Sauf qu’au lieu d’empêcher quelqu’un de sortir, ça empêchait n’importe qui de rentrer. Une armurerie. Pas une grosse : il y avait une étagère couverte de boite de munition, quelques pistolets, deux fusils posés contre le mur. Et une valise. Observant entre les barreaux, la petite tueuse pencha la tête ... L’inscription sur le côté de la mallette, en cyrillique, la fit sourire. Elle observa la serrure. Un gros boitier ... Plus que le verrou, c’était le côté « badge électronique » qui l’irritait. Il y avait probablement une alerte stupide reliée à ce machin ... Elle ne tenait pas à réduire ses quelques minutes de marge en secondes. Quelqu’un avait entendu deux ou trois coup de feu, passe encore. Une alarme se mettait à retentir dans tout le bâtiment, ou prévenait la mauvaise personne, et c’était toutes ses cibles qui évacueraient presque immédiatement. La petite russe soupira, posa son flingue contre le mur et claqua ses mains ensemble ... Puis s’approcha des barreaux en s’accroupissant. En saisissant deux, elle se mit à forcer. Serrer des dents. Grogner ... L’acier grinçait et résistait autant qu’il le pouvait. Avec succès : elle cessa assez rapidement, soufflant lourdement dans son casque. Marmonnant sans expirer un juron imagé, elle se saisit cette fois du même barreau avec deux mains ... Et de l’autre, avec ses deux pieds, se servant de sa queue et de sa force pour se maintenir. Puis, ce ne fut plus ses bras, mais tout son corps qui se mit à tirer et pousser sur le métal ... Jusqu’à ce qu’il ne cède, et qu’un barreau ne se descelle de son support, les soudures s’arrachant en hurlant. La petite tueuse tomba, mais qu’importe : elle recourba un peu plus le morceau de métal, et passa par le trou. Le contenu de la valise ... Pff, qu’est-ce que ces abrutis voulaient faire avec autant de matière plastic ? Refermant la mallette et la glissant par le trou, la petite terreur se saisit également d’une grenade qui se trouvait sur l’étagère, et sortit de l’armurerie.

Elle descendit les escaliers sans se presser, revisitant ses souvenirs récents concernant le plan qu’on lui avait donné de l’immeuble. 4ème étage, entrepôt. Une ou deux pièges aménagés pour pouvoir y passer une ou quelques nuits, sans plus. Troisième et second étages, bureaux. Outre les combats clandestins, le groupe possédant le bâtiment avait des gens dans la rue qui distribuaient de la dope, protégeaient les commerçants locaux contre menue monnaie, et récemment ils avaient aussi « pris sous leur aile » quelques prostituées. Premier étage, des vestiaires. Déserts à l’heure actuelle. Tous les habitués du club de combat, et même les quelques petits nouveaux du circuit, étaient au sous-sol. C’était sa destination. Alors qu’elle passait du premier au rez-de-chaussée, un grincement attira son attention. Les sourcils froncés, elle regarda la cage d’ascenseur. L’énorme cabine était en train de monter. Elle pesa ses options. Elle n’avait aucune idée de qui ça pouvait être, combien de temps ça lui prendrait, et comment planquer le lourd paquet qu’elle tenait d’une main. Si qui que ce soit mettait la main sur les explosifs, elle était bonne pour voir l’immeuble évacué, ce qui n’était pas bon pour son boulot : une dizaine de morts, ce n’était pas ce qu’on lui avait demandé. Sans parler de sa sécurité à elle, si la situation dégénérait. Ce point précis avait tendance à être le dernier de ses soucis, généralement … Elle pesta, et se remit à descendre. Elle s’en occuperait un peu plus tard. Au pire, l’ascenseur contenait quoi. Dix personnes ? Maximum ? Elle pourrait probablement gérer ça une fois qu’elle aurait fini de « livrer son paquet ».

Elle arriva au rez-de-chaussée et nota aussitôt le changement d’ambiance. Au-dessus ? Des bureaux, une ambiance austère. Un peu rétro. Ici ? On était dans le milieu du spectacle, dans l’entrée de cinéma. La moquette rouge était récente, les murs peints d’un noir laqué. Des affiches de spectacles programmés couvraient les murs. Quelques sièges confortables, dans un coin, probablement volés d’un cinéma justement, ou d’une carcasse d’avion, disposés devant des tables basses … Un bar, actuellement fermé. L’entrée du bâtiment, si son sens de l’orientation était correct, dont elle se désintéressa immédiatement. Et l’entrée vers la salle où se passait le spectacle. La petite terreur se dirigea aussitôt vers cette dernière. Un homme gardait la grande double-porte : il parut surprit de voir qui que ce soit. S’approchant, il lui demanda de s’arrêter gentiment, expliquant que le spectacle avait déjà commencé et que ce n’était pas « l’entrée des artistes ». Dès qu’il fut assez près, la petite terreur lui frappa les mollets par le flanc. Assez fort pour le faire décoller du sol et chuter sur le côté. Levant la valise qu’elle tenait en main, elle lui percuta le crâne au milieu de sa chute. Lorsqu’il rencontra le sol, son cou formait un angle étrange. La petite casquée tourna un instant la tête vers lui … Puis se remit en marche. Elle poussa la double porte. Une autre l’attendait, juste en face. A travers laquelle filtrait déjà beaucoup plus de bruit. Elle la poussa également.

Elle se retrouva dans le vomitoire des gradins de l’arène clandestine, et marqua un instant de pause. Le bâtiment, lorsque les mafieux l’avaient … « adapté » à ce qu’ils voulaient en faire, avaient eu la bonne idée de « fusionner » le rez-de-chaussée et le sous-sol pour pouvoir ériger des gradins qui s’étalaient sur 5, peut-être 6 mètres de haut, et un peu plus en profondeur, surplombant une arène qui … était dans un des coins du bâtiment. Sur le ring carré, dont deux côtés étaient des murs, les brutes pouvaient se donner en spectacle devant … Oh, peut-être une centaine de personne ? Le battle royal semblait avoir attiré un monde fou, mais à l’heure actuelle, tout ce beau monde n’avait aucun spectacle de gladiateurs à se mettre sous la dent. Cela s’entendait aux discussions fortes et répandues : tout le monde discutait. Pas d’encouragement, de cri de déception : des gens qui se posaient des questions, de tous les côtés. La petite terreur n’en voyait aucun de sa position, mais elle n’avait qu’à faire quelques pas vers l’avant pour confirmer de ses yeux ce qu’elle entendait. Elle n’en ressentit pas franchement le besoin. Il y eut comme un son de tapotement relayé par des hauts parleur, quelqu’un se racla la gorge beaucoup trop fort, et un individu avec un fort accent chinois prit la parole.

Mesdames et messieurs, nous vous prions de bien vouloir patienter. Suite à de potentiels troubles de sécurité, le battle royal subit un léger retardement, mais rassurez-vous : dès que les combattants auront mené l’enquête, ils reviendront s’affronter devant vous !

La petite tueuse ferma les yeux avec un sourire. Bien sûr. Certains des combattants étaient directement employés par le groupe qui possédait l’immeuble : qui, mieux qu’eux, pouvait jouer les « gros bras » ? Elle les avait probablement raté d’un cheveu, en descendant les escaliers … Ce n’était pas ça qui la faisait sourire, ceci dit. Non, elle avait eu un petit rictus à cause de l’ironie du sort … Elle n’avait rien contre l’annonceur, et ne tenait pas à le faire mentir. Et pourtant. Ouvrant la valise renforcée, elle soupira … Puis dégoupilla la grenade, la posa sur la pâte blanc cassé, referma le contenant, et le jeta en direction de l’arène. Puis, sans se faire prier, elle repassa les doubles portes, traversa le sas, poussa les secondes doubles portes, et …

Elle était mauvaise en physique. Très mauvaise. Elle n’avait jamais rien appris, en même temps. La mécanique des fluides, de la même façon, était totalement hors de son domaine de compétences : elle ignorait jusqu’à l’existence de cette science. Pourtant, instinctivement … Même elle aurait saisi que dans le cas d’une brusque augmentation de la pression dans un milieu clos, un gaz aurait cherché à s’échapper par toutes les issues possibles. Aussi ne fut-elle pas « surprise » en sentant le souffle de l’explosion la pousser, la projeter vers l’avant. Elle franchit les doubles portes en effectuant un vol plané de quelques mètres, et se réceptionna sur le ventre, glissant sur la moquette en la déchirant. Le monde sembla silencieux, à l’exception d’un son de cloche, un tintement d’abord diffus … Puis devenant affreusement net et précis, alors que tous les autres sons revenaient progressivement, cessaient d’être atténués. Se relevant, et dégageant le morceau de porte brisée qui lui était tombé dessus, la petite terreur eut besoin de quelques instants pour retrouver son équilibre, se servant de sa queue pour se stabiliser, comme une troisième jambe. Le choc avait été effroyable. Tant, à vrai dire, que le bâtiment tremblait encore. Quelqu’un d’autre se serait probablement rompu le cou à cause de l’onde de choc. La petite terreur laissa à son corps quelques instants pour se remettre … Puis soupira en voyant des lézardes énormes se propager le long des murs et du plafond. Qu’est-ce que ces imbéciles de mafieux avaient dans la tête à garder 20 kilos de C4 ? Qu’est-ce qu’ils pensaient en faire ? Réflexion faite … Elle aurait peut-être pu n’en utiliser que les deux tiers … Ou un peu moins ? Elle soupira, et se remit en marche. Direction, la cage d’escalier. Elle avait un groupe de gens qui avaient réchappé de l’explosion au-dessus de sa tête. Il fallait rectifier ça.

Montant les marches deux à deux en prenant autant que possible soin de ne pas faire de bruit, la petite tueuse sortit son nouveau jouet de sa house, tirant le levier pour s’assurer qu’il avait déjà une balle dans la chambre. Elle n’avait plus énormément de temps pour finir son travail, ni vraiment besoin de se montrer discrète, à présent. L’idée de demander un silencieux pour son « pistolet » lui traversa l’esprit … Avant qu’elle ne réalise que le calibre .50 n’était pas vraiment prévu pour ce genre d’accessoires.  Et puis, ce n’était pas comme si c’était tant son style que ça, de tuer sans bruit. Le premier étage était vide, mais au second, elle n’eut même pas besoin de sortir de la cage d’escalier pour voir ses cibles. Un mastodonte dont la peau et le corps semblaient faits de cristal, assez grand pour pouvoir atteindre le plafond avec certains des pics qui partaient de son dos. A côté de lui se tenait un individu aussi grand, mais pourtant parfaitement opposé. Sa peau était verte claire au lieu d’être bleu glace, il était mou et liquide au lieu d’extrêmement dur, et son corps était tout en bulles et en courbes au lieu d’être en arêtes et en surfaces plates. Il y avait deux … Trois autres types dans la pièce, mais la petite tueuse n’eut pas vraiment le temps de les analyser dans la mesure où on se tourna vers elle et la repéra aussitôt.

Epaulant son arme, elle tira le premier coup sans hésiter. Ce dernier percuta une des épaules du mastodonte de glace, qui poussa un cri de douleur. La balle n’avait pas réussi à lui pénétrer totalement le bras, mais elle avait provoqué un impact des plus larges et visibles, et craqué toute son épaule. Faisant fonctionner le levier sans attendre, la tueuse enchaîna aussitôt sur le slime. Sans surprise, sa tête explosa, mais sans donner l’impression qu’il ait vraiment été « endommagé » … Saloperie de corps sans organes. Le troisième tir faucha un des types qui s’approchait d’elle en sortant des couteaux de sa veste : lui chuta au sol pour ne pas se relever. Dans la mesure où elle ne pouvait pas enchaîner bien rapidement les tirs, la tueuse choisit, plutôt que de tirer une nouvelle balle immédiatement avant de se faire frapper par au moins 3 des personnes qui lui fonçaient dessus, de se replier en courant dans l’escalier pour le dévaler. Sautant des marches pour atterrir quelques mètres plus loin entre les bureaux du premier étage, elle saisit une déserte à une main, et la lança avec violence en direction de là où elle venait. Un de ses poursuivants, vraisemblablement humain, se la prit en pleine figure et resta étalé en plein milieux des escaliers. Faisant avancer et reculer le levier, la naine tira à nouveau … Mais pour viser, encore une fois, le bras du géant de cristal. Enfin, elle avait visé la tête, et raté, plutôt. Tirer en mouvement n’était pas facile. Cette fois ceci dit, ce fut toute la section entre le coude et l’épaule qui sembla éclater, et le béhémoth cristallin poussa un hurlement de douleur et chuta au sol en même temps que son avant-bras complet. Elle arma une nouvelle fois le levier de son arme afin de finir le travail, mais avant qu’elle n’ait pu de nouveau mettre en joue, un bruit de verre brisé sur son flanc lui fit tourner la tête. Et l’instant d’après, elle fut intégralement recouverte d’une sorte de liquide mouvant, visqueux, et surtout, vivant.

Là où le reste des combattants était passé par l’escalier, le slime lui avait préféré ouvrir la fenêtre de l’étage du dessus, et se laisser tomber en s’accrochant au rebord. Cela lui avait permis de tomber plus ou moins directement sur la petite tueuse, et de … L’envelopper toute entière. Le but premier de l’action était simple : la priver d’air jusqu’à ce qu’elle ne perde connaissance. Une technique bien entendu interdite dans l’arène, en raison de son côté si peu spectaculaire … Et aussi parce que tuer un rival intentionnellement n’y était pas autorisé. Mais ils ne se trouvaient pas dans l’arène, et très clairement, la petite était là pour un combat à mort. Il ne parvenait pas à pénétrer à l’intérieur du casque qu’elle portait, qui semblait s’être scellé hermétiquement lorsqu’il l’avait entièrement recouverte, mais ça importait peu : elle n’avait aucune réserve d’air, et bientôt, le manque d’oxygène ferait son travail. Seule faille dans cette stratégie : si le combattant au corps si anormal pouvait restreindre les mouvements de sa proie une fois capturée, il ne pouvait pas l’immobiliser, ni la soulever pour l’empêcher de prendre appui et se déplacer. D’une part, parce qu’elle était extrêmement lourde et beaucoup plus forte que lui. Et d’autre part, parce qu’elle avait immédiatement ancré les griffes de ses pieds dans le sol … Et qu’elle se mettait maintenant à marcher, pas à pas, lentement, vers un des murs.

Ne comprenant pas très bien ce qu’elle cherchait à faire, le slime l’empêcha de son mieux de progresser, luttant contre chacun de ses mouvements avec une efficacité très discutable. Il pensait en premier lieu qu’elle allait se jeter par une fenêtre, et comptait la laisser faire cela seule en s’accrochant au cadre au dernier moment. Mais au lieu de ça, elle se pencha, et mit un coup de poing violent sur un fil électrique juste au-dessus de la plainte. Sans trop de mal, elle arracha le câble, dont elle trancha de ses griffes la gaine de plastique épais. Sa seconde main vint saisir l’autre morceau du câble avant que le slime n’ait eu le temps de se retirer. L’effet fut quasiment instantané : les deux individus se prirent une décharge électrique qui fit sauter l’alimentation électrique du bâtiment au bout de quelques instants.

Si l’individu au corps gélatineux n’avait pas encaissé le plus gros de la décharge, cette dernière avait été largement suffisante pour le secouer tout entier, au point de l’éjecter vers l’arrière et de désactiver son alter, lui rendant son apparence d’homme normale. Il n’eut pas le temps de se remettre du choc ou de se retransformer : allongé sur le dos, il ne put qu’assister au spectacle de la petite tueuse, fumante, qui se retournait vers lui et lui sautait sur la cage thoracique. Il y eut un craquement mou lorsque 160 kilos tombant de bien 50 centimètres percutèrent son torse sur la surface de la paume d’une main. Elle ne vérifia même pas les dégâts qu’elle avait causés, sachant déjà qu’ils étaient sûrement mortels. Faisant un effort mental pour ignorer la douleur atroce qu’elle ressentait dans chaque membre à cause de ce qu’elle venait de faire, elle se tourna vers la cage d’escalier, dans laquelle se tenait quelqu’un … Mais quelque chose de lourd, dur, et particulièrement véloce la percuta et la fit voltiger à travers la salle. Un poing fermé, qui appartenait au mastodonte de cristal. Lui, visiblement, l’amputer ne suffisait pas à le retransformer … Un alter permanent ? Ça en avait l’air. Poussant d’une main pour se décoller du sol alors que l’autre venait lui enserrer les côtes, la petite tueuse n’eut que le temps – et l’énergie – de le regarder lui foncer dessus à nouveau, avant de la prendre par le crâne, de la soulever (avec difficulté) et de la plaquer brutalement contre le mur, qui se fractura sous l’impact. Les arêtes nettes et rigides du cristal étaient si résistantes que la petite eut presque l’impression qu’elles allaient parvenir à briser la vitre teintée qui lui protégeait le visage, mais ce n’était pas vraiment son souci principal à l’heure actuelle. Se retournant, le mastodonte beugla pendant qu’il étranglait la petite tueuse.

Boris ! Ramène ta hache à incendie, on va tester si son crâne est aussi résistant qu’il en a l’air !
Sans façon… J’ai subi… assez d’expérimentation comme ça.

Grognant, la voix faiblarde à cause de ce qu’elle venait de subir, la petite tueuse enroula ses bras autour de la main qui lui tenait le cou. Faisant travailler ses abdos, elle releva son bassin, et fit de même avec ses jambes. Et elle se mit à serrer. Ne pouvant la décrocher, le mastodonte chercha à forcer sa tête à faire un angle trop brusque avec son corps, sans effet. Les muscles denses et anormaux de la tueuse résistaient, et surpassaient vraisemblablement ceux du béhémoth. Alors il changea de stratégie : ramenant son bras près de lui, il frappa un mur de toute sa force avec, écrasant la petite tueuse contre. Le seul effet visible fut que la puissance du choc, combinée à la pression qu’exerçait déjà la tueuse, craquela son bras de façon visible et sonore. Le mastodonte cristallin poussa aussitôt un nouveau hurlement de rage et de douleur. L’instant d’après, la tueuse faisait à nouveau fonctionner ses abdos, et achevait le travail, tordant et brisant littéralement l’avant-bras du géant de glace avant de chuter lourdement à terre.

Se relevant avec difficulté, elle eut besoin d’un instant pour reprendre son souffle. Instant qui ne lui fut pas accordé. Ses réflexes plus que son cerveau la firent se reculer brusquement, lui permettant d’esquiver une hachette qu’on lui avait lancé avec force. Observant un instant le projectile, elle se tourna vers la direction dont il provenait. Le dernier type. Dont l’alter consistait visiblement à faire apparaître des objets dans ses mains : il téléporta littéralement une masse dans sa main droite, la jeta en l’air pour en saisir le bout du manche, et la balança. Détail qu’avait eu le temps de remarquer la tueuse : les objets qu’il invoquait portaient une sorte de « tâche » noire et rouge, qui émettait de la fumée juste après la téléportation … Mais ce détail de fonctionnement de l’alter importait peu : d’un coup de poing vers le côté, elle détourna le projectile en grimaçant dans son casque. La teinte de peau du type devint de deux tons plus pâle. Faisant apparaître une nouvelle hache, il prépara son bras pour la lancer également … Mais au moment où il allait procéder, la tueuse bondit à côté d’un bureau, et le souleva / balança tout entier dans sa direction. Esquivant avec un cri, l’homme se jeta sur le côté, disparaissant du champ de vision de la tueuse … Qui mit un genou à terre. Après ce qu’elle venait de subir, elle n’était vraiment plus en état de continuer à jouer les forces de la nature. Cependant, ce qu’elle vit l’instant d’après lui déplut foncièrement. Elle ne se souvenait plus de quand, mais un des assauts qu’elle avait subi lui avait fait perdre son flingue … Et l’autre abrutit venait de se relever en le tenant dans ses mains avec un sourire mauvais.

J’éviterais, à ta place.
Dommage, parce que tu es à ta place, et moi à la mienne.

La seconde d’après, il la mit en joue. Elle puisa dans ce qu’il lui restait de ressources pour bondir. Le coup parti. Il y eut un cri. D’une voix masculine. La petite tueuse sentit parfaitement la balle lui traverser une cuisse, la perforant de façon extrêmement douloureuse. Mais elle ne poussa pas de cri. Elle chuta juste lourdement quelques mètres plus loin, glissa sur une cinquantaine de centimètres, et grimaça dans son casque, se repliant sur elle-même et pressant ses mains sur sa plaie. Elle n’allait plus pouvoir se déplacer facilement … Ceci étant, les cris de douleur qu’elle entendait la motivèrent à ignorer sa propre souffrance, et à se relever. Boitant en se servant de sa queue comme support pour éviter de trop forcer sur sa jambe blessée, elle se rendit jusqu’à l’endroit où se tenait le type qui venait de lui tirer dessus. Ce dernier, qui n’avait aucune idée du recul qu’il aurait dû encaisser, avait tenu l’arme à feu de façon totalement idiote au moment du tir. Résultat, deux de ses doigts formaient un angle des plus étrange, et le fusil avait percuté son torse avec probablement assez de force pour lui endommager soit l’articulation de l’épaule, soit des côtes, vu sa posture. En voyant la rousse boiter vers lui, il chercha à se retourner pour saisir à nouveau le barret gun, mais avant qu’il ne puisse en saisir la poignée de sa main valide, les griffes du pied de la petite clouèrent son avant-bras au sol. Elle l’écouta hurler sans s’émouvoir, et se pencha pour ramasser son arme.

En temps normal … ce n’est pas mon style de faire ce genre de réflexions … mais là, franchement, je te l’avais bien dit.

Avant qu’il n’ait pu répondre, la queue de la petite tueuse s’enroula autour de la hache qu’il comptait jeter, un instant plus tôt. La cognée de cette dernière s’encastra dans le crâne du combattant une seconde plus tard. La tueuse se tourna vers le titan de cristal. Il remuait faiblement. S’approchant, elle l’acheva d’un tir en pleine tête, qui la fit reculer et tituber, presque chuter. La bonne nouvelle, c’était que le barret gun était une excellente arme anti-personnel, anti-matériel … anti-tout, en somme. La mauvaise nouvelle, c’est que cela en faisait un des seuls fusils capables de la tuer, elle aussi. Elle considéra un instant l’idée de l’abandonner ici, dans cet immeuble qui tremblait de plus en plus, et ne tarderait probablement pas à s’effondrer. Un bloc entier se décrocha d’ailleurs du plafond pour chuter, à plusieurs mètres de là. Elle soupira.


Les deux mafieux qui avaient pour mission de jouer les taxis pour la petite tueuse avaient écouté les radios de la police locale s’affoler lorsque de nombreux appels avaient fait mention d’une explosion dans un bâtiment du voisinage. L’un d’entre eux était sorti pour observer, depuis une distance respectable, l’immeuble en question. Puis il était revenu à la voiture, trois ruelles plus loin, attendre avec son collègue. Les minutes s’étaient succédé avec une lenteur effrayante … Et la berserk ne revenait pas. Un des deux hommes avait fini par s’allumer une cigarette, et ouvrir sa portière. Son collègue lui posa une main sur l’épaule pour l’arrêter. L’homme hésita … mais si la tueuse se faisait arrêter, leur organisation en prenait un coup. Il valait mieux qu’il s’assure de ses propres yeux que ce n’était pas le cas. Il n’eut même pas, comme il le craignait, à rejoindre le lieu où ils l’avaient déposé un peu plus tôt ceci dit : il trouva le sujet numéro 13 étendue dans le caniveau d’une ruelle peu passante. Elle avait tenté de se faire un bandage à la cuisse, mais ce dernier ralentissait à peine le sang qui continuait de s’écouler. Avec son casque, impossible de dire si elle était consciente. Et les mouvements de son torse étaient presque imperceptibles. Se penchant, l’homme chercha à la prendre par les épaules et à la soulever … Et renonça bien vite. Il n’était pas taillé pour ça. Retournant à la voiture, il toqua contre la vitre, faisant signe à son collègue de le suivre. Le deuxième homme lâcha un juron en voyant la petite flaque rouge noirâtre autour d’un des muscles les plus vascularisés du corps de la tueuse.

Tu prends les épaules et moi la jambe, et on la calle sur la banquette arrière ?
Pas nécessaire. Avec un grognement, la petite tueuse finit par remuer, et par très lentement se relever. Un des mafieux lui tendit la main pour l’aider, et le regretta en la sentant tirer bien plus fort que ce qu’il anticipait … Mais elle ne le blessa pas pour autant. La voiture est encore loin ? J’ai la vision un peu trouble.
Non. On va décamper d'ici … Puis faire un arrêt premier soins mieux que ça, et antidouleur aussi, je suppose. On a une trousse avec du matos pour ça. Merde, la banquette arrière va être dégueulasse …

Ne prêtant même pas attention à ce commentaire, ni aux suivants, la démone sans visage se laissa guider jusqu’à la voiture en continuant de se reposer sur sa jambe valise et sa queue. Lorsqu’on lui ouvrit la portière, elle utilisa ses dernières forces pour se hisser sur le double siège … Et s’allonger en travers. Elle entendit le claquement de la portière derrière elle … Mais pas le démarrage du moteur, un instant plus tard. La dernière pensée qui lui traversa l’esprit avant de perdre connaissance fut que vu son état actuel, entre les os fragilisés, les brûlures internes, et l’hémorragie … Elle allait en avoir pour des semaines à se remettre. Ce qui voulait dire : des semaines de repos. Si elle survivait.

Puis elle sombra totalement dans le néant.