Les gens qui connaissaient la fondation « Blue shield » n’étaient pas surpris de voir l’homme qui l’avait créée, le secrétaire d’état Bogoliath, tenir une conférence de presse devant son siège. « Blue Shield », le premier service d’aides aux officiers de police en difficultés et à leurs proches de ce côté-ci de l’état. Qui fournissait des fauteuils roulants et autres aides aux policiers handicapés dans l’exercice de leurs fonctions, des groupes de parole et de soutiens aux familles. Blue shield, qui organisait des évènements caritatifs pour soulever des fonds qui paieraient, entres autres, les études des enfants de ceux qui étaient tombés en protégeant les citoyens au quotidien … Depuis l’effondrement, la fondation n’avait pas chômé, bien au contraire : nombre de familles de héros décédés avaient reçu une lettre de condoléance, voir pour certaines une offre de soutien financier. L’ancien héros non plus n’était pas resté en retrait, le travail ne manquant pas après la catastrophe de l’été dernier … Puis, trois jours plus tôt, le maire de Starfish avait fait un discours par rapport à la libération de New York. Aux raisons de son enfermement. Et avait levé le voile sur l’effondrement lui-même. La nouvelle avait secoué l’Amérique, et personne n’avait été surpris lorsque le secrétaire d’état de New York avait organisé une conférence de presse.

Il était monté sur l’estrade depuis laquelle il devait faire ses déclarations d’un pas souple, mais puissant. Avant même qu’il ne soit en place, certains commençaient à se taire dans la petite foule qui se tenait devant lui. Bogoliath n’était pas juste imposant physiquement : il transpirait une certaine forme de charisme, imposait naturellement le respect, teinté pour certains d’une subtile dose de peur. Sans la moindre hésitation, il se plaça devant son pupitre, et posa ses deux mains sur ce dernier, scrutant les micros et les caméras qui se dressaient vers lui. Son expression, pourtant neutre, semblait pouvoir tout dire, sans laisser la moindre piste concrète. Puis, une ride se marqua un peu plus, un sourcil se fronça légèrement, et malgré son large sourire franc et bardé de belles dents bien blanches, tous purent sans mal déduire une chose : le secrétaire d’état était énervé.

Mes chers amis … Comme vous le savez tous, New York a été libérée. La ville, qui était retenue prisonnière, isolée du reste du monde durant ces trois mois difficiles, nous a été rendue. Grâce au courage et à l’intervention de véritable héros. Et j’utilise ce terme, mais je parle autant d’individus ayant survécu à l’effondrement que de gens pour la plupart comme vous et moi. De simples citoyens, qui ont pris leur courage à deux mains, et ont montré qu’ils ne laisseraient pas passer l’occasion de se battre pour leurs compatriotes.

Cette libération a cependant dévoilé une vérité dérangeante. Douloureuse. Une conspiration du plus haut niveau, qui touche absolument chacun d’entre nous. J’ai personnellement côtoyé Chad Preston dans l’exercice de nos fonctions respectives, mais je ne m’estime pas plus intimement trahi que chacun d’entre vous en sachant qu’il a, et ce depuis des années, mis en place un système destiné à faire de l’Amérique l’el dorado des criminels et des mafias. C’est notre droit à la paix, à la sécurité qui a été bafoué. Le droit fondamental de tout être d’être protégé efficacement contre ce qui le menace. Et j’enrage, en tant qu’ancien héros, en tant qu’homme du peuple, et en tant que citoyen de notre nation, de savoir qu’elle a été ainsi manipulée et pervertie dans ses plus hautes instances.

Une pause. Une main large et puissante, dont le poing fermé pourrait probablement assommer un bœuf en lui tombant sur le crâne, saisit un verre d’eau d’un geste vif et précis. Le secrétaire d’état se désaltère dans le silence le plus complet, avant de reprendre la parole. Le ton est plus mesuré, comme si le contenu du verre l’avait refroidi.

Cependant je ne désespère pas, au contraire. J’accueille cette colère en moi, car elle servira de carburant à ma motivation. Nous avons été manipulés, frappés, trahis. Mais je fais le serment de me relever, et de me montrer plus fort et résistant que jamais. Si les criminels et vilains ont voulu faire de notre foyer le parfait endroit pour effectuer leurs petites opérations, alors je démultiplierais mes efforts pour faire voler leurs espoirs pervers en éclat, et pour protéger autant d’honnêtes américains que possible. Nous restaurerons la gloire de notre patrie, et la rendrons plus forte, plus à même de lutter contre la criminalité de tout type.

Mais les mots ne sont rien sans les actes, et si je déclare aujourd’hui volontiers la guerre au crime organisé, je ne compte pas pour autant m’en tenir à de seules paroles, qui n’en seraient que plus creuses. C’est pour cela que j’annonce dès aujourd’hui que des fonds conséquents seront très prochainement attribués à la police. A la lumière des révélations qui ont été faites sur notre système héroïque, je ferais mon possible auprès de nos institutions politiques pour que les attributions et pouvoirs des forces de l’ordre soient reconsidérés à la hausse dans les semaines à venir.

Je compte également agir, non en politicien mais en businessman, pour faire croitre de façon sans précédent mes industries équipementières, qui comme beaucoup le savent fournissent du matériel à la pointe de la technologie à nos forces de police. Des recrutements massifs seront effectués dans tous les secteurs, et de nouvelles infrastructures seront mises en place pour répondre à une augmentation de besoin évidente. Blue shield verra également ses budgets augmentés afin que la fondation puisse offrir, en plus du soutient fourni aux officiers qui ne peuvent plus opérer, des formations et entraînements spécifiques pour policiers, shérifs et autres représentants de la loi.

En bref, la loi et l’ordre seront servis par des effectifs plus nombreux, plus aptes à agir, mieux entraînés et mieux équipés, afin de faire face à la période de crise que notre nation traverse. Ceci est la promesse que je vous fait, américains.

Cette dernière phrase sembla autoriser la foule à réagir : aussitôt, des journalistes et reporters pressés d’obtenir l’info exclusive s’empressèrent de poser des questions, auxquelles le secrétaire d’état répondait en restant courtois, confiant et ferme. En cette période d’instabilité généralisée, il semblait vouloir se poser en homme fort, et rassurer le citoyen moyen sur le fait que la sécurité était et resterait sa priorité. Il resta en revanche vague sur les « augmentations de pouvoirs » dont il voulait voir la police bénéficier, aussi bien que sur comment il comptait financer les opérations de croissance massive annoncées pour ses entreprises et sa fondation : peut-être n’avait-il pas une capacité à agir à la mesure de ses ambitions. Après tout, le gouvernement dans sa quasi intégralité restait suspect après les révélations faites sur Chad Preston, et vu l’état actuel du pays, beaucoup de mesures restaient plus faciles à promettre qu’à mettre en place.