Les jambes croisées sous le comptoir, une moue boudeuse – qu’elle seule pouvait reconnaître – sur le visage et un dossier de client ouvert mais intouché depuis déjà 40 minutes sur l’ordinateur portable devant elle. C’était à peu près dans cette situation qu’on pouvait retrouver Kathleen, en cette fin d’après-midi, dans son stand … Il était également à noter qu’elle avait les yeux rivés – même si là c’était impossible à détecter – sur son téléphone portable. Du pouce, elle faisait défiler Ukato et les posts trending sur #savenewyork … Comme d’habitude, certaines opinions étaient similaires à la sienne, d’autre totalement différentes, certaines inutiles au possibles, et une petite minorité n’avait rien à voir avec le sujet. Décollant ses yeux de l’écran pour les fermer et se les masser avec deux doigts, la tireuse soupira … Elle aurait menti si elle avait prétendu ne pas vouloir que la situation se débloque à New york. Mais de cette façon-là … ça allait être un merdier sans nom. Et si elle se sentait le devoir de sauter dedans à pieds joints, elle ne savait en revanche même pas tous les tenants et aboutissants de l’affaire, ce qui était des plus désagréables. Elle avait besoin de se changer les idées … Passant sur un autre forum de discussions, elle regarda plutôt ce qui se passait dans son « cercle professionnel » … Et tomba, par hasard, sur un visage familier. Une ancienne secrétaire générale de Starwall, qui avait eu la chance d’être en congé longue durée lorsque l’effondrement était survenu. Désormais, elle avait un nouveau poste dans un lycée de la côte ouest. Cette dame travaillait déjà à l’académie super-héroïque à l’époque où la tireuse y avait fait un passage … Elle était rondouillette, âgée sans être vieille, compréhensive, et maternelle. Dans le bon et le mauvais sens : elle était plus que volontaire et n’hésitait jamais à prendre le temps de connaître les problèmes d’un élève pour l’aider … Par contre, elle était infernale avec la documentation rendue en retard.

Une idée germa dans l’esprit de la tireuse, qui cessa de jouer de deux mains avec une de ses deux longues couettes … Elle bascula du navigateur Ukato a son répertoire téléphonique. Elle avait le numéro de cette dame toujours enregistré. L’ancienne secrétaire avait récemment changé de poste, il fallait espérer qu’elle n’en avait pas profité pour prendre un autre numéro … L’appelant, Kathleen patienta quelques instants, ne recevant rien de plus que des tonalités … Avant finalement que des bruits d’écran que l’on touche, puis de téléphone manipulés maladroitement tels que perçus par le micro ne se fassent entendre. La tireuse leva immédiatement son propre téléphone à son oreille.

Allo ?
Allo, madame Sephrey ?
Oui ? Qui est à l’appareil ?
Kathleen. Kathleen Jones, j’étais à Starwalls, promotion … deux mille … quatre-vingt-dix à quatre-vingt-treize ?
Oh, heum, bonjour ma chérie … J’ai changé de téléphone, et mon fils n’a pas réussi à transférer mon répertoire et mes photos de l’un à l’autre, tu … J’avoue que le nom m’est un peu familier, mais j’ai du mal à me remettre … Quatre-vingt-treize, tu m’as dit ? Hmmm …
Heum … C’est « mimi » ?

Le « AAAAAAAAH » de réalisation de la secrétaire générale fut si fort et brusque que Kathleen en sursauta sur son fauteuil et lâcha son téléphone, avec lequel elle « jongla » quelques instants avant de finir par réussir à l’attraper en l’air de deux mains. Le mettant à nouveau contre son oreille, elle fut rassurée de constater que la personne au bout du fil ne s’était pas rendu compte de sa petite bourde : elle était déjà en train d’enchaîner sur « pourrait oublier de longs cheveux roses aussi magnifiques » et « adorable jeune fille même si un peu turbulente ». Les vingts minutes suivantes consistèrent majoritairement, pour Kathleen du moins, à donner des informations sur des sujets divers et variés : comment elle tenait son stand, si elle n’était pas trop déçue d’être sortie du cursus héroïque – même si rétrospectivement ça lui avait sauvé la vie -, comment allait son père (qui était « avait une apparence aussi déroutante que sa fille, et une personnalité toute aussi charmante »), et beaucoup d’autres sujets de ce genre.

Kathleen ne put s’empêcher d’apprécier un minimum les compliments qu’elle reçut pour le travail qu’elle avait effectué sur sa voix pour la rendre plus féminine, ainsi que d’avoir des questions sur si sa transition lui avait permis d’avoir la vie qu’elle voulait, et des félicitations honnêtes lorsqu’elle répondit positivement. Après tout, lorsqu’elle était rentrée à Starwall, elle n’avait pas encore commencé de traitement et n’était « dans sa peau de fille » que depuis un an … Que quelqu’un qu’elle connaissait lui montre ainsi qu’elle acceptait ses choix et s’intéressait à son bien-être lui fit chaud au cœur. Ce n’était en revanche pas le sujet de l’appel, et au bout d’un moment, la rouge se força à interrompre le flot de questions pour poser les siennes, moins plaisantes. Un silence s’installa pendant quelques instants entre les deux.

Et donc … Le sujet de ton appel, c’était pour avoir des informations ?
Oui … Enfin des coordonnées. J’aurais aimé … Parler à un proche du groupe du groupe à l’origine de l’effondrement. C’est pas … De la curiosité morbide ou quoi que ce soit, et je suis sûre qu’ils doivent en baver, depuis 3 mois, mais … Si moi et d’autres, on veut pouvoir libérer new york la semaine prochaine, il faut qu’on ait le plus de renseignements possibles … Bien tâter le terrain pour savoir quand le mieux agir, c’est un des crédos des héros professionnels, non ?
Hm, je vois … Et bien … Je … J’étais partie en arrêt maladie avec mon ordinateur, pour pouvoir traiter certaines des demandes ou dossiers des élèves … Je n’y ai pas touché depuis, mais je devrais pouvoir te trouver des coordonnées assez facilement … Tu as de quoi noter ?
Tendant un bras pour se saisir d’un carnet ouvert et d’un stylo, la tireuse hocha la tête par réflexe. Littéralement sous la main.
Très bien, alors … Pour Erin Deans, la tireuse qui voulait assassiner le président …

La pistolera eut l’occasion de noirci quelques lignes avec des noms, des téléphones, et des adresses mail. Elle n’avait pas vraiment besoin de l’adresse réelle : beaucoup n’étaient pas basés à starfish, et elle ne comptait pas s’y rendre en personne. Lorsqu’elle eut les informations désirées, la gérante remercia la secrétaire de l’aide qu’elle lui avait fournie, consentit à répondre à environs 10 minutes de questions supplémentaires, puis lui promit de lui donner des nouvelles avant de raccrocher. La tireuse soupira en croisant deux bras sur son ventre, et deux autres derrière sa tête … Outre le besoin de ne plus avoir le combiné contre l’oreille pendant quelques minutes, elle n’était pas très motivée pour enchaîner une discussion plaisante avec une autre qui allait probablement l’être beaucoup moins. Dans la mesure où la lumière extérieure baissait progressivement et où l’heure tournait cependant, elle finit par décroiser les bras et se saisir du fixe du stand, sur lequel elle se mit à composer le premier numéro de sa liste. Le premier numéro composé fut un échec : non attribué. Soit l’ancienne secrétaire lui avait refilé une mauvaise info, soit la famille d’un des terroristes ayant plongé le pays dans le chaos avait quitté le lieu où elle vivait … Difficile de dire quelle option ça pouvait bien être, tiens. Barrant la ligne d’une main, elle composa le numéro suivant de l’autre, et patienta jusqu’à ce que quelqu’un ne décroche.

Allo ?
Oui bonjour, ici Kathleen Jones. Je suis une habitante de Starfish et je vous appelle pour vous poser quelques questions sur votre fils, Noah.
Ah, je vois … Vous êtes de la police, mademoiselle Jones ? Ou une héros ?
Pas vraiment, je-
Journaliste, alors, peut-être ? Vous enregistrez là ?
Non.
Alors pourquoi vous ne vous dites pas qu’on a reçu bien assez d’appels comme ça au sujet de Noah, et que vous ne nous foutez pas la paix ? Hein ?
La tireuse resta muette un instant … Puis soupira, et se pencha vers l’avant, posant un coude sur son bureau. écoutez, le dix novembre, moi et pas mal d’autres habitants de starfish on va se rendre à New York pour tenter d’aider à libérer la ville d’une façon ou d’une autre. Je me doute qu’on vous a déjà posé des questions des dizaines de fois et que votre situation est éprouvante, mais … Lorsqu’on sera là-bas, à se battre contre des vilains et à essayer de sauver le plus de monde possible, chaque info qu’on aura à disposition comptera. Donc … Si vous saviez quoi que ce soit sur votre fils, ou son groupe, qui pourrait nous aider …

Cette fois ci, ce fut le père à l’autre bout du combiné qui resta silencieux pendant quelques instants. Il était probablement au courant des posts sur Ukato, et de l’effervescence qui s’emparait de la population de starfish en ce moment. Pourtant, il finit par répondre d’une voix fatiguée : « Je ne peux rien faire pour vous, mademoiselle Jones. Mais je vous souhaite bonne chance. » La tireuse tenta de le remercier, mais il raccrocha avant qu’elle n’en ait eu le temps. Elle soupira, regardant le téléphone un instant … Avant de prendre un autre numéro sur sa liste, et de le composer. Lorsqu’elle tombait sur quelqu’un, ce qui ne fut pas toujours le cas, les discussions étaient similaires. Les parents ou proches étaient tous agressifs dans un premier temps, plus ou moins civils à propos de leur refus de donner des infos … Et lorsqu’elle arriva tout à la fin de la liste, tout ce que la tireuse pouvait dire, c’est que certains des terroristes avaient probablement un fort accent du kansas ou dakota, entres autres. Elle tapota la pointe de son crayon sur la page, déçue de n’être arrivée à rien … Puis enregistra ce qu’elle avait laissé en cours sur l’ordinateur, et le ferma. Il allait être temps qu’elle rentre chez elle. Elle passa à l’étage du dessous, vérifia que tout était en ordre, que personne n’avait laissé de munition sur une des tables, et que chaque arme était bien rangée dans son casier, puis elle coupa la lumière et la ventilation, et remonta pour faire de même dans le magasin. Mais alors qu’elle éteignait la lumière à l’entrée, le téléphone fixe se mit à sonner. Elle resta un instant interdite, fixant le comptoir derrière lequel elle avait passé la journée à l’autre bout de la pièce … Puis se mit à courir, passa le torse par-dessus et saisit le combiné pour décrocher.

Allo !? Oui ?
Mademoiselle … Jones ? Vous avez appelé un peu plus tôt dans la soirée ?
C’était bien moi, oui. Désolée de vous avoir dérangé pour rien … La voix ne lui disait pas grand-chose, mais en regardant son carnet, elle trouva une correspondance avec un des numéros partiellement barrés.
Vous avez eu mon mari, et ce n’est rien … écoutez, nous devons sortir ce soir. Est-ce que je peux vous contacter sur Ukato lorsque nous serons rentrés ? J’ai une ou deux informations à vous transmettre …
Oh, je … Vraiment ? Super ! Je … Vous avez de quoi noter mon identifiant ?
Hmm mhh.
At The … Random … Shooter. Ma photo de profil c’est … heum, bah, c’est moi. J’ai les yeux entièrement noirs, la peau rouge, et beaucoup de dents, on a … Quelques mutations dans la famille.
Oh, je vois. Ça ne doit pas être facile, tout ça …J’ai un cousin qui ressemble à un alligator, alors qu’il a toujours voulu devenir restaurateur, il n’a pas eu une enfance facile.
C’est … Oui … Je confirme, malheureusement.
Ah, je vous ai trouvé. Ooooh, vous avez vraiment de très longs cheveux … Mais ça vous va très bien.
Je … Merci. Merci beaucoup. La jeune femme, qui s’était détendue et un peu affalée sur son comptoir, fut très heureuse qu’on ne puisse pas la voir rougir à travers le combiné du téléphone. Mais qu’une gentille vieille dame lui fasse ce genre de compliments lui faisait toujours extrêmement plaisir. Son téléphone mobile vibra dans la poche de son jean, divertissant son esprit des soins capillaires.
Voilà, je vous ai envoyé une demande d’amis. Je vous enverrais ce que je sais sur mon fils et ses camarades ce soir … Bonne soirée.
Merci, vous aussi. J’espère que votre sortie se passera bien.
ça ne devrait pas être bien difficile : nous allons juste au restaurant au bout de la rue. A plus tard jeune fille.

La vieille dame raccrocha, et Kathleen décolla lentement son combiné pour le reposer sur sa base … Avant de fermer un poing et de marmonner un « Yes ! » entre ses dents. Puis, regardant par-dessus son épaule, elle nota un adolescent collé à la vitre, qui … matait probablement son cul, vu son regard béat et figé. Et vu qu’il s’enfuit en courant dès qu’elle le remarqua, aussi. La tireuse soupira, descendit du comptoir, et repartit vers la sortie. Au moins elle allait apprendre quelque chose bientôt …