La pièce était « vaste », mais pas immense. Un bureau que l’on avait aménagé, entre la salle des serveurs du bâtiment, et le « vide » : depuis le bureau, une petite fenêtre donnait sur une des vastes (et hautes) salles de production de l’usine, dont le sol était situé un étage en-dessous. Un choix étrange, quand on savait que la personne qui occupait cette pièce dirigeait tout ce complexe, et bien plus encore. Pourtant, la pièce était non seulement « modeste » en taille, mais également plutôt austère. Quelques étagères, remplies aussi bien de dossiers et d’archives confidentiels que de livres anciens et précieux. Sur le large bureau noir, une boule à neige et une petite plante en guise de décorations, d’autres documents, un ordinateur portable performant, un écran supplémentaire à côté. Non … Le seul véritable signe de richesse de cette pièce, c’était la fenêtre. Pas celle qui donnait sur l’intérieur de l’usine. Celle qui, face à la porte d’entrée, donnait directement sur l’extérieur. Elle était immense, prenant plus de la moitié de la surface du mur. Et de l’autre côté de ce triple vitrage, l’eau gelait en quelques secondes. Et sans une bonne dizaine de couches de vêtements, il en était de même pour les hommes. La température confortable de la salle contrastait très nettement avec l’un des froids les plus extrêmes de la planète. Et à travers les multiples vitres transparentes … Le propriétaire de ce bureau observait la tempête de neige. Cette dernière se déchaînait, des tourbillons glacés bloquant la visibilité à quelques mètres à peine, la luminosité générale de l’endroit donnant l’impression d’être en fin de soirée, alors que midi n’allait pas tarder. Frottant sa mâchoire sur laquelle une très fine barbe commençait à repousser après son rasage de la veille, l’homme était absorbé aussi bien dans sa contemplation que dans ses réflexions.
 
Puis on toqua à la porte.
 
Laissant entendre un « Entrez. » puissant mais courtois, l’entrepreneur se mit en marche pour retourner s’installer derrière son bureau, alors que trois hommes armés entraient dans la pièce … Tirant avec eux une silhouette qui aurait pu être enfantine tant elle était petite. Les lourdes chaînes dont elle était couverte juraient avec cette image. Le « casque » qu’elle portait également. Ce dernier couvrait son crâne, et masquait entièrement son visage, laissant juste apparaître deux points rouges derrière ce qui devait être une vitre en polymères teintée. Les multiples cadenas, aussi bien sur son casque que sur son corps, rendaient encore plus évident que cette petite créature était captive … Mais une telle réduction de ses capacités d’action laissait supposer qu’elle était surtout restreinte pour la sécurité de ceux qui l’entouraient. Confortablement assis dans son haut fauteuil de cuir, le propriétaire fit un signe aux hommes armés, tout en saisissant une télécommande sur son bureau. Un des gardes mit aussitôt un genoux à terre, commençant à défaire certaines des chaînes ou des bracelets de métal qui empêchaient la petite personne d’utiliser ses bras et sa queue.
 
« Vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? » Il secoua légèrement le petit boitier plastique en le montrant bien à la silhouette masquée. Cette dernière hocha lentement la tête. « Une pression sur le bouton, et je vous envoie assez de vibrations dans le crâne pour en réduire le contenu en bouillie … Mais pas sans avoir fait vraiment très mal auparavant. J’espère que vous ne m’en voudrez pas de la garder en main durant notre entrevue, mais je vous saurais gré de ne pas me faire m’en servir. » 
J’adore quand on me donne des choix raisonnables et simples à faire comme ça.
Le ton était ironique et légèrement déformé par le casque, mais un sourire apparu néanmoins sur le visage de l’homme. « Merveilleux. »
 
Le propriétaire regarda les dernières chaînes être retirées, puis fit un autre signe de tête aux gardes pour qu’ils se retirent. Face à lui, la petite demoiselle – malgré sa figure enfantine, sa poitrine était un indice évident qu’elle était adulte, sans parler du timbre de sa voix – était en train de faire jouer ses poignets et articulations, s’étirant avec un petit soupire. Ses jambes, digitigrades, semblaient se terminer en quelque chose ressemblant à des pattes d’oiseaux … très griffues. Elle finit par observer le bureau … Il y avait deux chaises. Une « normale », et une autre en fonte, avec un coussin dessus. Elle s’assit sur celle en fonte et croisa les bras sur le torse.
 
« Vous m’excuserez si nous n’avons pas eu le temps de trouver quelque chose de plus … Confortable, mais –»
 J’ai brisé assez de chaises comme ça pour me priver de confort. C’est déjà gentil d’avoir prévu quelque chose pour que je puisse m’asseoir … Passons. D’habitude, on me fait mes briefings depuis ma chambre, et on ne me retire mes entraves qu’au moment de me lâcher en mission. Alors un entretien en personne et dans l’usine … C’est quoi qui change, cette fois ?
« Pour être honnête, je réfléchis à cette entrevue depuis plusieurs mois, mais un évènement soudain précipite les évènements. Vous allez être libérée. » L’homme ne pouvait pas voir l’expression de surprise de sa vis-à-vis à travers son casque, mais le simple mouvement de recul qu’elle eut sur sa chaise suffisait. Il enchaîna en tendant le bras pour saisir une pochette, qu’il pivota et tendit à la petite. « Vous avez de plus en plus fait parler de vous, et il est de plus en plus compliqué de masquer votre existence … Ou vos déplacements. Un de mes informateurs m’a téléphoné ce matin. La police a réuni de quoi perquisitionner cet endroit de fond en combles, et ils ne cherchent qu’une seule chose : vous. Certains gars du labo étaient d’avis de juste vous supprimer … Mais nous savons tous les deux à quel point ce serait difficile, et soyons honnêtes : je n’aurais jamais pu avoir la position que j’ai sans votre … « collaboration ». Je préfèrerai donc faire preuve de générosité et, je l’espère, d’intelligence … Et vous donner la possibilité de partir, libre. Quitte à ce que nous nous recontactions à l’avenir, bien entendu. »
 
Il laissa ses paroles s’enfoncer dans le crâne anormalement résistant de son interlocutrice, et se laissa aller en arrière dans son fauteuil alors qu’elle prenait la pochette, et commençait à en lire le contenu. Il savait qu’elle éprouvait des difficultés à lire – sans parler d’écrire – et ne la pressa donc pas … Même si elle releva au final assez rapidement la tête, de toute manière.
 
Ce dossier contient des informations sur moi ?
« En effet, « sujet 13 » … En effet. Mais dans la mesure où le langage utilisé dans ces rapports par les scientifiques est particulièrement aseptisé et indigeste, je voulais me proposer de refaire votre parcours avec vous, ainsi que de vous apprendre plusieurs éléments dont vous n’avez actuellement pas connaissance. »
ça dit qui j’étais avant ?
 
Le propriétaire de l’usine soupira, et prit un petit moment avant de répondre. « Avant » … Ce n’était pas très précis, et pourtant il savait à quoi elle faisait référence. Ajustant son costume, il observa la petite silhouette sur la chaise face à lui. La tenue qu’elle portait était doublée de fibres de tissus ultrarésistantes, et traitée pour résister à tout ce que sa porteuse endurait … Seuls le casque, et les chaînes qu’elle portait un peu plus tôt, étaient réellement destinés à la handicaper. Sa peau d’un gris sombre ne semblait pas disposer de la moindre pilosité, et n’était marquée d’aucune cicatrice, si on exceptait le bout mutilé de sa queue. Autre détail, difficile à remarquer si on n’y prêtait pas attention, était l’impossibilité de … percevoir son système sanguin à travers sa peau. Pas de veine faisant de petites bosses. Pas de longues lignes sombres. Rien. Son épiderme était uniforme et lisse, donnant une impression qu’elle était … « artificielle ». Et c’était partiellement le cas.
 
« Vous devez savoir que vous nous avez été vendue à l’aube du 20^ème siècle. Nous n’avons pas été responsables de votre capture initiale … et il y avait peu de renseignements sur votre identité réelle qui nous ont été fournis. Nous avons conservé tout ce que nous avions dans nos archives ceci dit. Entres autres … Lorsque vous avez été trouvée, vous aviez ces effets personnels sur vous. Qui sont en plutôt bon état après presque un siècle et demi d’existence, d’ailleurs. »
 
Accompagnant la parole au geste, l’homme en costume souleva une mallette noire de son côté du bureau, et la posa devant la petite, qui l’ouvrit. A l’intérieur … une robe, noire. Un voile blanc. Un carnet. Un vieux couteau. Et un chapelet dont les perles de bois s’étaient ternies avec les années. Elle observa la croix chrétienne orthodoxe qui l’ornait … Mais sans voir son expression, impossible de dire si la vision de ces items provoquait quoi que ce soit en elle. Elle finit par refermer la mallette, et la tirer pour la poser à côté d’elle à terre.
 
« Vous aviez environs la trentaine, vous veniez d’un pays scandinave, où vous aviez été remarquée par les mauvaises personnes pour votre alter. La capture n’avait pas dû bien se passer, car –»
Car j’étais amnésique. Les deux points rouges semblèrent s’atténuer un peu derrière le casque, alors que la tête hochait vers l’avant une fois. Sans aucune idée d’où je venais, de qui j’étais, ou de ce qui s’était passé.
« En effet. Après plusieurs tests préliminaires, vous avez été vendu à un laboratoire indépendant dans lequel plusieurs premières expérimentations ont été faites sur votre alter. Notre … « organisation », ou ce qu’elle était à l’époque en tout cas, vous a ensuite récupérée. »
Pour faire de moi une arme.
« Non. » Le patron sembla littéralement balayer la supposition d’un revers de la main, se tournant un peu vers la fenêtre pour observer la neige qui tombait de l’autre côté. « Les tests que vous aviez subi à l’époque se contentaient de vérifier votre mortalité, et éventuellement de voir si votre organisme pouvait produire des remèdes miracles face à certaines maladies … Mais notre organisation avait d’autres plans pour vous. Plutôt que de vous remplir de virus pour voir vos réactions immunitaires, nous avons préféré voir si vous pouviez devenir indestructible. Enfin. Le terme est excessif, ce serait impossible … Disons simplement « très difficile à mettre en difficultés ». Et nous n’avons pas été déçus. »
Je me souviens de cela aussi, oui.
 
Le ton étrangement détaché mit tout de même la puce à l’oreille de l’homme, qui se tourna à nouveau vers la petite rousse. Mais cette dernière n’avait pas spécialement bougé, observant juste des photos … Levant un peu la tête, elle laissa entendre un soupire amusé, qui se dispersa dans son casque. Saisissant une série d’image, elle les lança avec négligence sur le bureau devant elle. La première montrait une main broyée, aux ongles arrachés. Sur la seconde, les plaies semblaient avoir guéris, même s’il restait du chemin. Des tâches sombres apparaissaient ici et là. Sur la troisième, les tâches étaient plus larges, et les plaies étaient pour la plupart guéries … Même si les doigts avaient commencé à se déformer. Les premières phalanges en particulier semblaient couvertes de petites protubérances plus ou moins osseuses. Les suivantes montraient que la peau avait entièrement noirci, tandis que les phalanges s’étaient en grandes parties couvertes d’un « os » régulier et plat. La dernière version de ce dernier ressemblait d’ailleurs à ce que la petite face à lui avait actuellement … Si on exceptait les griffes qui avaient recouvert l’entièreté des dernières phalanges de chaque doigt. Leur histoire à elles était … différente.
 
Me faire frapper des murs jusqu’à ce que j’ai la chaire et les os en miettes. Me faire percuter le sol en me lâchant de plus en plus haut. Me brûler de différentes façons. Me lacérer aussi, même si ça n’a pas duré bien longtemps … Me faire m’entraîner jusqu’à ce que mes muscles ne se déchirent, pour se reformer plus puissants qu’avant … beaucoup plus puissants. Combien de temps vous avez continué les tortures de ce genre ?
« Environ 60 ans. Vous n’aviez pas réussi à garder la mesure du temps qui passait ? » Un hochement négatif de la tête servit de réponse. Bien sûr que non … Le propriétaire haussa les épaules. « D’un côté, vos périodes de récupération nous empêchaient d’avancer très vite, et de l’autre, certains tests mettaient … assez longtemps à porter leurs fruits. »
Et pour quoi ? Si vous ne vouliez pas me transformer en arme, qu’est-ce qui vou-
« Calmez-vous … » L’homme leva pacifiquement les mains, exposant ses paumes comme pour signifier qu’il se rendait. La petite évoluée ne lâcha qu’un grognement irrité, et haussa les épaules en croisant les bras. « Je n’étais même pas né, à l’époque, je ne peux que répéter ce que m’ont dit mes prédécesseurs. Le projet initial, cependant, était de vous faire atteindre un état dans lequel les mutations seraient assez nombreuses et versatiles pour faire de vous un super soldat, capable de combattre la majorité des adversaires. Nous pensions ensuite vous dupliquer, et fabriquer ainsi une marchandise qui nous aurait rapporté énormément. Le problème fut que même une fois ce stade de « super soldat » atteint … et il vint avec quelques surprises, comme vos jambes ou votre taille … Nous n’avons pas pu reproduire les mutations que vous … hm … »
Dont je souffre. Se grattant le cou de ses griffes, la démone lâcha un soupire, semblant plus désabusée qu’autre chose. C’est ce qu’il y a marqué là. Que je « souffre » de mutations.
« Est-ce vraiment le bon terme, ceci dit ? Comme je vous l’ai dit, le langage employé par les scientifiques … enfin.  »
« Le … Sujet 13 … Ne voit pas … son … A … ADN … Impac …té, par ... son … alter. Les … Muta … Mutations … découlent de son passé … » non, « Passif … personnel … Et l’al … ter … facteur … les … pérennise … autrement. Tout … » qu’est-ce que c’est que ce mot … ah, « Tout clonage de … son … corps act … actuel est … im-po-ssi-ble … sans … reproduire … les conditions qui ont dé … déclenché … les … mutations. ». En gros mon alter vous a bien niqué sur ce coup là.
« … Vous saisissez mieux que je ne l’aurais cru. »
Vous m’avez soufflé la réponse avant. Bon. Les mutations étaient vraiment impossibles à reproduire ?
« Et bien … nous étions limités par les techniques de l’époque en ce qui concernait ce que nous savions des alters et du corps humain. L’ADN n’avait pas été découvert depuis bien longtemps à ce moment-là, sans parler de l’idée de reproduire un organisme. Certains alters auraient pu nous aider à dupliquer les effets du vôtre, mais rien de satisfaisant par rapport à nos projets. Et même en imaginant qu’on puisse greffer votre alter définitivement à d’autres individus, nous n’avions pas vraiment le budget de faire subir ce que vous avez enduré à une armée de copies, et l’état mental des copies à l’issue de cette … « formation » aurait de toute façon été un problème … »
Oh, c’est vrai que mon état mental était clairement la priorité numéro 1 lorsque je me réveillais au milieu d’une chute libre de plusieurs centaines de mètres.
« N’allez pas croire que je ne comprends pas pourquoi, mais vous ne coopériez pas du tout dès qu’on vous laissait la moindre marge d’action. Pour le reste, vous savez comme moi que l’éthique n’a jamais été la priorité de mon organisation, pas plus que le respect des lois ... Nous voulions vous renforcer, et votre alter ne le permettait que d’une façon. »
 
Un soupire amusé mais désabusé percuta l’intérieur de la vitre en polymère du casque, et la petite tourna la tête sur le côté. Impossible de dire si elle était vraiment énervée ou pas. Après tout, ces évènements remontaient à si longtemps …
 
Donc vous vous êtes rendu comptes au bout de 60 ans que ce que vous m’aviez fait ne vous permettrait pas de faire ce que vous vouliez.
« En résumé. Vous veniez donc de perdre toute trace de potentielle « rentabilité », alors que vous aviez été un investissement considérable. »
C’est à cette époque seulement que vous avez envisagé de m’utiliser comme « bombe propre », donc.
« Mh. Vous avez lu le terme dans le dossier ? » La tête casquée opina, ce qui tira un petit rire à l’homme en costume. Ce dernier lâcha un soupire, et hocha la tête à son tour. « C’est un de nos comptable qui vous a sauvé en trouvant lui-même une mission à vous confier, après qu’il ait dressé le bilan des sommes que votre existence avait coûté à l’organisation. »
Je me serais volontiers abstenue de coûter quoi que ce soit.
« Bien entendu. Mais nous savons tous les deux que votre pouvoir décisionnel était nul, en ce temps-là. Le comptable, disais-je donc, s’amusa à calculer que votre existence avait coûté l’équivalent d’un entrepôt rempli de drogue. Il parlait d’ailleurs d’un véritable entrepôt, bien connu de nos services, mais qui appartenait à une organisation rival. Cela a donc ironiquement été votre baptême du feu. »
Je me souviens. On ne m’avait même pas retiré la robe d’hôpital que j’avais à l’époque pour passer les tests de résistances … J’avais juste été lâchée directement sur le bâtiment. J’ai fait un carnage. Quand vos hommes sont venus, ils n’ont eu à supprimer qu’une ou deux cibles, et à me ramasser à la petite cuillère.
« Malgré tous nos efforts, vos tissus étaient à l’époque bien moins résistants qu’ils ne le sont actuellement … Les blessures par balles que vous aviez subies auraient fait fermer boutique à un humain lambda, ceci dit. Mais pas vous. Alors qu’il faisait presque moins 30 degrés cette nuit-là, à saint Petersburg, vous avez survécu pendant les deux heures de transport en camion, jusqu’à ce qu’on puisse vous opérer. Ce qui, déjà à l’époque, était compliqué, vu que l’utilisation de scalpel était un luxe que vous ne nous accordiez pas. »
Si j’avais été consciente à ce moment-là, je m’en serais surement voulu de me mettre en travers de vos bonnes intentions à mon égard.
Ne relevant pas le sarcasme, l’homme leva une main … Et se saisit de son téléphone, pour l’approcher de lui. « Je n’en doute pas. Vous avez faim ? C’est bientôt l’heure du déjeuner, contrairement à ce que la luminosité pourrait faire croire … » La petite se contenta de lever une main, et de toquer sur son casque avec les griffes qui ornaient ses doigts. « Il y a deux boutons de chaque côté, au niveau des tempes et des mâchoires. Appuyez sur les quatre en même temps et vous pourrez retirer la face avant. »
 
La petite tueuse s’exécuta, entendit le casque légèrement se dépressuriser, et saisit la surface courbe et polie qui voilait habituellement son visage … puis la posa sur le bureau avec douceur. Après tout, c’était la première fois qu’on l’autorisait à dévoiler son visage alors qu’elle portait son casque, il était normal qu’elle n’ait jamais réalisé comment faire cela elle-même. Le patron s’abstint d’observer ses traits de façon trop insistante, mais c’était après tout la première fois qu’il le voyait en face à face … Cette absence de nez était surprenante. Il en allait de même pour le rouge vif de ses iris, qui contrastait avec le noir de la sclère de ses yeux … Sans parler, bien sûr, de sa peau là aussi grise sombre, bien plus foncée que ses cheveux roux. D’un ton égal, mais d’une voix désormais bien plus claire, elle laissa connaître ses désirs en termes de nourriture. A savoir « à peu près n’importe quoi tant qu’il y en a assez ». Cela n’avait rien de surprenant pour le patron, qui était depuis longtemps au courant que le « sujet 13 » avait besoin d’un apport calorifique journalier extrêmement conséquent par rapport à un humain normal … Littéralement plusieurs fois ce que quelqu’un de très forte constitution consommerait.
 
Il commanda donc un chariot-buffet, qui fut apporté dans les minutes qui suivirent, et ils mangèrent tous les deux en silence : l’homme travaillant sur son ordinateur tandis qu’il ingurgitait un sandwich, et la petite demoiselle dévorant sans façon ni hésitation des quantités de nourriture hallucinantes, tout en se tenant debout devant la fenêtre, observant l’extérieur. Lorsque, quelques minutes plus tard, la petite s’installa de nouveau face au propriétaire des lieux, ce dernier ne put s’empêcher de remarquer qu’il ne l’avait pas vu changer d’expression depuis tout à l’heure … Ce même air sérieux et renfrogné avec lequel, de mémoire, elle avait souvent été décrite. Sans montrer que ce fait l’amusait légèrement, il se racla la gorge, avant de reprendre la parole.
 
« L’entrepôt fut donc la première d’une longue série de missions couronnées de succès. Je ne suppose pas utile d’en faire la liste complète avec vous … Après tout, cela reviendrait à couvrir presque 80 ans d’histoire, dont vous connaissez les détails les plus intéressants. »
C’est vrai … Même si je n’étais pas toujours au courant de tous les détails ou du contexte. Le but de ce rendez-vous n’était-il pas de clarifier ce que je ne savais pas ?
« Bien sûr … Mais qu’y a-t-il à clarifier ? Le contexte ne devait pas être si complexe à deviner … Suite à la capture de cet entrepôt et de l’intégralité de son contenu, vous avez dans un premier temps travaillé exclusivement pour notre organisation. Nous vous donnions des cibles, des informations logistiques, des objectifs … et c’était à vous de faire le « sale boulot ». Assassiner des individus comme des rivaux mafieux, ou des politiciens et policiers un peu trop zélés qui voulaient nous mettre des bâtons dans les roues … En l’espace d’une décennie, vous nous avez permis de progresser de façon fulgurante dans le monde criminel, et malgré quelques rares échec qui n’étaient le plus souvent pas de votre fait, vous avez effectué un parcours exceptionnel. Cette période vous a également permit de progresser de façon presque surprenante, vu tout ce que vous aviez déjà traversé auparavant. »
J’avais enfin un moyen de me défouler. Mais ces opérations n’étaient que de petite envergure, n’est-ce pas ?
« En effet … C’est lorsque nous avons commencé à louer vos services à d’autres « clients » que vous avez commencé à jouer dans la cour des grands. Fait intéressant : c’est à la base un groupe rival qui nous a fait une offre pour vos services … Et lorsque nous avons « officiellement » commencé à les proposer, les clients potentiels se sont multipliés. Multimilliardaires, petits états, compagnies plus ou moins légales … Vous serviez des intérêts un cran au-dessus. Et les bénéfices qui allaient avec n’étaient pas en reste. »
Mes interventions étaient aussi un poil plus musclées et spectaculaires. Prenez celle de 1993.
 
L’homme eut un petit rire grave, et hocha la tête. Il tira d’ailleurs d’un tiroir une sorte de … classeur, qu’il ouvrit et consulta rapidement, avant de s’arrêter sur la page qu’elle avait évoqué. Octobre 1993. Intervention sur le territoire américain. L’exécution brutale, sommaire, et publique d’un gouverneur. L’ironie de la chose ? Qu’on ait fait appel à une organisation mafieuse russe … Et que le « on » en question soit américain, membre du parti rival. Bien sûr, cette mission n’avait pas été des plus simples … C’était durant cette dernière que le sujet 13 avait utilisé pour la première fois sur le terrain ce qu’elle appelait « le cri ». À l’époque, il n’était pas très perfectionné. Et pourtant, elle avait provoqué des déchirements de tympans pour une dizaine de personnes, et en avait affecté beaucoup plus encore, ce qui lui avait permis de s’enfuir.
 
« Je dois avouer avoir été surpris par le manque de problèmes politiques que cette action a entraîné entre notre belle Russie et les USA … Mais il faut dire que ce n’était pas la première fois que « la petite apocalypse » agissait en dehors de son pays d’apparition. Votre intervention en inde s’était avérée presque plus dangereuse pour nous. »
Attendez … « la petite apocalypse » ? Ils m’appelaient comme ça ? Pff … Quel nom stupide. Et l’inde … l’inde … Comment ça ? Si je me souviens bien, on bossait pour un parti politique. Et « le » client voulait de l’aide pour placer qui ils voulaient dans le gouvernement et à la tête de l’état. Ils ont été satisfait de ce côté-là, non ?
« Plus ou moins. Vos interventions ont bel et bien dissuadé la concurrence. Dans le contexte confus dans lequel le pays se trouvait, vos multiples interventions en l’espace d’un mois ont … fait pencher la balance en faveur de notre client, qui a accédé au pouvoir. Ou plutôt, elles ont consolidé ce qui était déjà une tendance générale. Ceci dit vous aviez attaqué nos commanditaires aussi, de votre propre chef, me semble-t-il … »
Question de logique. J’avais tabassé voir tué des représentants de plusieurs partis politiques adverses pour les dissuader de continuer à chercher à accéder au pouvoir. Autant éloigner les soupçons de ceux qui nous payaient en évitant de laisser croire qu’ils étaient « miraculeusement épargnés ». Ils nous en ont voulu à cause de ça ?
« En partie, sûrement, même si vous n’aviez tué aucun d’entre eux. On peut aussi mentionner de malencontreuses mésententes entre nos dirigeants de l’époque et les leurs … Et une question d’image publique. En gros, une fois le pouvoir obtenu, ils avaient voulu affermir leur autorité en traquant et éliminant la « menace étrangère » qui avait autant interféré avec les élections. Le pouvoir avait dû leur monter à la tête au point qu’ils se pensaient intouchables. Du coup, officiellement, ils envoyaient leurs troupes à nos trousses, et officieusement ils ne nous payaient pas. Heureusement, nos arguments les ont redirigés vers la voie de la sagesse, et ils ont bien vite abandonné l’idée de ne pas honorer leurs promesses … » Voyant que le sujet fronçait un sourcil et haussait l’autre pour faire passer sa moue de « grognon » à « dubitative », le patron précisa avec un sourire. « Pour être clair : nous avons évoqué la possibilité de dévoiler mondialement leur implication dans « le cataclysme » qui avait frappé les différents groupes politiques, et menacé de vous renvoyer chez eux intentionnellement. Les sommes qu’ils nous devaient ont été payées dans la journée, et leurs « enquêtes » sur la petite apocalypse se sont terminées en queue de poisson. Ils ont même insisté sur le fait que ce n’était vraiment pas la peine de vous faire revenir en Inde. »
 
Un évènement intéressant survint. Le sujet eut un ricanement explicite et quelque peu malveillant. Là encore, le patron n’était pas « surpris » : il avait entendu dire par son équipe que le sujet appréciait les flatteries, et les rappels de sa dangerosité. Il ne releva donc pas, marquant simplement une brève pause avant de reprendre.
 
« Bien leur en a pris, vous me direz … L’idée de leur gouvernement de ne permettre qu’à une fraction privilégiée de la population d’utiliser son alter était déjà stupide à l’époque, et qui sait combien de temps elle perdurera … Mais ils nous ont payé, et en ont eu pour leur argent. Que dire de plus. »
Que j’ai d’horribles souvenirs de leur cuisine traditionnelle. Les missions de nature politique n’étaient pas spécialement communes, quand j’y réfléchis …
« Non, en effet. Sur environ … 280 missions ? Les ¾ ont été conduites sur le sol russe, et beaucoup n’étaient que des … règlements de comptes entre différents acteurs du monde criminel, disons. »
« Réduisez ce groupuscule à néant », « Défoncez ce labo de production de meth », « Coulez-moi ce navire » … Je me souviens, oui. Plus ça allait plus c’était brutal, d’ailleurs.
« Brutal, lucratif … et rare. 60% des missions dont le commanditaire ne faisait pas partie de notre organisation ont été effectuées dans les 20 premières années … Mais une fois passé un certain cap, le prix auquel nous vendions vos services a tant et tant augmenté que nous n’avions plus besoin de vous faire sortir plus d’une ou deux fois par an. »
Franchement, je m’en plains pas spécialement. Niveau évolution de carrière, c’était loin d’être déplaisant.
 
Le propriétaire hocha lentement la tête, comprenant bien ce qu’elle voulait dire. Après tout, de ce qu’il avait lu, lors d’une de ses premières missions on avait ouvertement dit au sujet 13 que si elle échouait, elle serait mise à mort. Sa réponse avait été qu’elle s’acquitterait de sa tâche au mieux, mais que l’idée d’en finir ne la dérangeait pas. Le chef de l’organisation de l’époque avait alors changé d’approche, en sous-entendant que les « expériences » qu’elle avait subies pourraient peut-être reprendre … Cela avait fonctionné, dans le sens où elle avait fait preuve d’un zèle décuplé pour réussir ses objectifs dans les mois qui avaient suivi. En revanche, aussitôt ramenée dans le bunker/la cellule ultra surveillée qui lui servait de chambre, elle avait cherché à s’échapper à maintes et maintes reprises. Et ces tentatives avaient été coûteuses aussi bien en termes de finances que d’hommes.
 
Heureusement, l’ancien chef avait quitté son poste peu après, et son remplaçant avait une vision des choses bien différente … Le sujet 13 avait commencé à être récompensé pour ses actions. Une cellule plus grande. Des améliorations tangibles niveau confort. Du mobilier réellement adapté à sa morphologie si particulière. L’accès progressif à des divertissements autres que de l’entraînement physique et de vieux films, lorsqu’elle n’était pas « formée » à des techniques de combat ou d’intervention. L’accès à une éducation plus poussée fournie par des professeurs particuliers avait également été mis en place, même si le sujet était désormais d’un âge qui rendait tout apprentissage difficile, d’où sa lenteur à lire et écrire. Entre cela et un certain manque de motivation pour certains domaines, autant dire que l’initiative n’était pas couronnée d’un succès retentissant … Mais elle semblait néanmoins appréciée par la principale concernée. Cette dernière avait en tout cas raréfié drastiquement ses tentatives d’évasion, jusqu’à complètement cesser. Sa personnalité, à la base timide et craintive, avait également fait un volt-face quasiment total. La terreur qu’elle ressentait à cause des expériences avait cédée la place à une rage illimitée, qu’elle pouvait canaliser et déchaîner à loisir sur ses cibles... ou laisser entrevoir, lors de discussions lambda, par le biais d’un cynisme amer. L’envie « d’en finir » suite à des dizaines d’années de torture s’était effacée au profit d’une sorte de « fierté » d’être, sur quasiment tous les plans physiques, une créature « supérieure » à l’humain normal. Et ce, même au sein de la société super-héroïque dans laquelle le monde avait basculé. Quant aux difficultés qu’elle éprouvait vis-à-vis des interactions sociales … Elle en avait toujours. Impossible d’effacer complètement 65 années passées à être traitée comme une créature, une expérimentation sans droits, sans âme, sans rien … Mais elle avait tout simplement pris la décision de ne pas se laisser affecter par sa propre étrangeté. Et son manque d’empathie lui était très utile pour ignorer l’avis des autres sur sa personne, ce qui pouvait aider.
 
Et du coup, pour en revenir à aujourd’hui … la police est à mes trousses, et vous voulez me laisser partir ?
« C’est une façon de présenter la chose. Il n’a jamais été un secret pour personne que notre gouvernement trouve vos interventions … « problématiques ». En attaquant des groupes mafieux, vous faites le travail des autorités, ou des héros. Et ce, sans répondre à qui que ce soit, ce qui ne plaît à aucune des deux factions, d’ailleurs. En revanche, lorsque vous tuez un politicien, un riche entrepreneur, ou quelqu’un de « bon » aux yeux du public, vous rappelez au plus grand nombre que vous ne servez pas la justice, et que votre pouvoir n’est pas « toujours » utilisé à de bonnes fins. Et lorsque vos interventions vous font refaire le portrait à un ou plusieurs héros de notre belle patrie … »
Pour les héros ou la police, c’est pas comme si je les invitais à intervenir. Surtout avec tous ceux que j’ai envoyé à l’hôpital … Ou pire.
« Si on excepte les rares cas où on vous a demandé de tuer un super justicier, on a dénombré 94 cas de héros neutralisés avec des blessures nécessitant une intervention médicale, allant de la commotion cérébrale ayant entraîné une perte de connaissance à l’amputation pure et simple de plusieurs membres … Et 22 héros tués, purement et simplement. Du moins, si je me souviens correctement du dossier. » Le sujet 13 tourna les pages de son propre dossier jusqu’au sommaire, avant de passer au récapitulatif … Et hocha la tête avec une moue. « Pas d’entre deux ? Un combat où vous avez laissé quelqu’un de si blessé qu’il est mort dans les heures ou jours qui suivaient à l’hôpital ? »
Avec l’expérience, c’est devenu un jeu d’enfant de rester « pro » et d’éviter les meurtres accidentels. Après tout, mettre un super dans les vapes n’est pas forcément aussi compliqué que ce qu’on peut croire … Comparé à un criminel endurci qui sait et veut tuer avec son alter, la plupart des héros se battent en se retenant énormément. Et la plupart de mes cibles étaient des criminels. Sans compter que tuer les héros n’avait aucun avantage, en soi.
« En effet … Votre capacité à éviter les « bavures » a participé au côté mitigé de votre image. Une super-vilaine qui ne se livre pas gratuitement à des massacres, c’est bien moins inquiétant pour la personne lambda … Mais le côté impitoyable, en revanche … »
Je laissais le choix.
« Oui, c’est même mentionné dans de nombreux reportages et articles de journaux parlant de vous que vous laissez vos potentiels adversaires s’enfuir ou ne pas s’interposer s’ils désirent rester en bonne santé. Du moins, lorsqu’ils croisent votre route ou vous affrontent pour la première fois. »
Ceux que je recroisais deux, trois fois, et qui continuaient à vouloir se battre, ou ceux qui se jetaient sur moi en clamant venger quelqu’un, j’ai préféré tout simplement en finir. Ceux qui me mettaient trop en difficulté aussi, mais ils étaient rares.
« Mh. Toujours est-il que notre gouvernement associe désormais ses paroles à des actes … Et qu’ils veulent vous faire sortir du paysage. »
ça ne perturbera pas votre réseau criminel de me laisser partir comme ça ?
Le propriétaire marqua une petite pause … Il n’était pas surpris qu’elle appelle son groupe ainsi, mais ce n’était pas plaisant pour autant. « Si, bien entendu. Mais entre cela, et devoir faire face à des procédures judiciaires pour répondre de tous les crimes que vous avez commis … Et puis. J’avais dans l’espoir de vous laisser partir … Sans pour autant rompre tout contact. » Le sujet fit une nouvelle fois une expression interloquée, et lui fit signe de poursuivre. Le patron eut un sourire. Il posa devant lui une valise de voyage cette fois, qui semblait bien remplie. « Ce sac contient l’équivalent d’un million de dollars américains. Des vêtements civils pour environ une semaine ou deux. Des papiers d’identité qui prennent en compte vos … « spécificités » et vous permettrons de vous fondre dans la foule sans mal. Et deux téléphones. Le premier est de dernière génération, tactile, prêt à être rempli de jeux, d’applications de cuisine ou tout ce que vous voudrez d’autres … Le second est daté de presque un siècle au niveau du design. Sa batterie tient trois semaines, il ne permet pas de se connecter à internet ou de faire autre chose que téléphoner … Mais il possède plusieurs numéros dans son répertoire. Des numéros qui vous permettrons de contacter des membres anonymes de l’organisation, qui vous fourniront de l’aide, ou du travail, en fonctions de vos besoins … Et des petits services que vous saurez bien sûr nous rendre de temps en temps, une fois dehors. Lorsque la personne à l’autre bout du fil décroche, dites « projet héritage », et ils sauront qu’il s’agit de vous. Sinon, si la police met la main sur cet appareil par exemple, ils prétendront que vous êtes une amie d’ami qu’ils n’ont que peu connu, et raccrocherons … Et nous vous considèrerons comme morte ou disparue. »
Je vois … c’est vrai que vous l’aviez mentionné tout à l’heure. En gros, vous voulez un « au revoir », pas un adieu.
« Exactement. Par le passé, vous avez travaillé avec nous sous la menace, puis pour des récompenses quelque peu futiles … j’espérais que ce départ, ce « nouveau départ » même, nous donnerait l’occasion de partir sur de nouvelles bases, plus amicales. »
Hum hum … Vous avez l’air d’y avoir bien réfléchi. Et bien … je suppose qu’il ne me reste plus qu’à accepter alors.
 
La moue sérieuse et renfrognée du sujet 13 disparu … et fut remplacée par un sourire. Un sourire … inquiétant. Pas parce qu’il donnait l’impression d’être artificiel, au contraire même … mais parce qu’il semblait bien trop facile. Le patron hésita un instant. Lorsqu’il avait parlé d’amputation, tout à l’heure, il avait un exemple précis en tête. Celui d’un héros dont le corps pouvait se changer en métal. Un héros qu’elle avait « neutralisé » en saisissant un de ses bras, et en l’arrachant. A mains nues. Des mains capables de broyer du bois, de la tôle, des tubes de cuivre ou de plomb … Elle était en train de lui tendre cette même  main, avec un sourire. Parce qu’il la libérait, au terme de plus d’un siècle de quasi esclavage. Il était habitué à la pression, aux situations dangereuses, et aux menaces … Mais ce geste, si innocent, lui provoquait des sueurs froides. Approchant discrètement une main de la télécommande qui lui permettait à tout instant de neutraliser, voir tuer le sujet, il tendit l’autre, et lui offrit la poignée qu’elle demandait. Cette dernière ne fut même pas particulièrement ferme. Après tout, elle avait des paumes bien trop étroites et des doigts trop courts pour réellement tenir ses larges paluches à lui. Elle sembla même faire attention à ne pas appuyer avec ses griffes, ce qui n’était pas une mince affaire puisqu’elles couvraient ses dernières phalanges. Le relâchant, elle descendit de sa chaise d’un bond souple, et saisit la valise pour la poser à terre. Elle observa sa robe renforcée un instant, comme si elle hésitait à se changer, mais finit par la conserver avec un haussement d’épaules … Avant de se tourner vers le patron.
 
Oh, si … je ne reviendrais pas avant un bon bout de temps. Je peux vous demander quelque chose ?
« Retirer votre casque, je suppose ? Bien sûr … Je vais le déverrouiller dès que vous aurez franchi l’enceinte externe de l’usine. »
Oh, non … Enfin, je veux dire, oui, bien sûr, mais je pensais à autre chose. Vous vous souvenez de ce flingue qu’on m’avait confié pour certaines de mes missions ? Depuis 6 ou 7 ans, je ne sais plus trop …
« Ah. Oui. Celui développé à partir d’un fusil sniper américain. »
Exactement, et qui tire des munitions de mitrailleuse lourde. Je pourrais l’avoir ? Avec quelques balles, s’il vous en reste, bien sûr …
Le propriétaire eut un sourire. Ce genre de requêtes était inattendu … Mais c’était loin de lui poser problème. « J’envoie un message pour qu’on nous le fasse parvenir immédiatement. Ce n’est pas comme s’il aurait pu servir à qui que ce soit d’autre de toute façon … Je pense que nous l’aurions très rapidement détruit histoire de ne pas conserver de preuves trop … « aisément reconnaissables » de votre présence ici. Y a-t-il autre chose que vous voudriez emporter ? »
Le sujet sembla réfléchir un instant … Avant de hocher la tête. Un des livres dans ma chambre. La grosse encyclopédie. Comment ça s’appelle … « Les théories de Charles Darwin : recueil et compilation de ses travaux », quelque chose dans ce genre-là. Il est sur mon étagère, face au lit.
« Oh, bien sûr … Un de nos hommes va tout de suite aller le chercher. Il doit rester assez de place dans la valise pour le livre … Pour le « pistolet », en revanche, nous vous donnerons juste le sac que vous utilisiez déjà pour le transporter en mission. »
Parfait.
 
Se penchant vers l’avant, le sujet se saisit … De la boule à neige qui se trouvait sur le bureau du chef mafieux, qu’elle rapprocha pour l’observer avec un petit sourire. A l’intérieur se trouvait une version miniature d’une église bien connue de saint Petersburg, sous laquelle était inscrit « Собор Воскресения Христова ». Elle connaissait le monument de nom et en avait vu des photos, mais n’avait jamais pu s’en approcher pour la visiter, lorsqu’elle avait été envoyé dans cette ville … Elle s’éloigna un peu pour se rapprocher de la bibliothèque, regardant toujours l’objet qu’elle tenait en main.
 
ça va me faire drôle de ne plus porter ce truc sur la tête dès que je serai à l’extérieur … Et de ne plus jamais avoir à le porter, d’ailleurs.
 
Le mafieux n’argua rien. Le casque que portait actuellement le sujet 13 était la 5^ème version existante. La première avait été conçue à la va-vite, et remontait à l’époque où ils avaient commencé à l’employer comme mercenaire. Avant même qu’elle ne sorte de sa cellule, et jusqu’à ce qu’elle y retourne, elle était forcée de le porter. Il avait plusieurs fonctions, bien sûr … Une protection plus que correcte de la tête. Masquer les traits de « la petite apocalypse », même si son corps était plus que facilement reconnaissable. Permettre des télécommunications par radio. Permettre d’avoir des enregistrements vidéo et sonores de ses missions. Mais les raisons principales de sa création étaient simple : géo-localiser le sujet 13 en permanence, et avoir un moyen de le tuer s’il faisait quoi que ce soit de « problématique ».
 
« Au passage … Il vous faudrait un nom, ne pensez-vous pas ? »
Vous ne m’en avez pas donné un ?
« Si, bien sûr … Ludmila Zonov. Mais ce n’est qu’une fausse identité. Elle sera probablement dévoilée en tant que telle un jour ou l’autre, et il faudra encore en prendre une autre … Ce serait plus agréable pour vous d’avoir un nom que vous reconnaîtrez comme réellement vôtre. Bien sûr, vu que votre … première identité n’est pas connue et appartient désormais aux royaumes de l’oubli, je pensais plutôt à un nom que vous auriez choisi. Vous n’avez probablement pas dû réfléchir à la question ceci dit, bien entendu … »
… attendez … Qu’est-ce que vous avez dit ?
« Que je … Pensais que vous choisiriez votre nouveau nom ? »
La petite tueuse se retourna, hochant négativement la tête en regardant la petite mallette noire dans laquelle se trouvaient ses « vieilles » affaires. Non. Avant ça. Les royaumes de l’oubli … … Ver … Vergetelheid.
« … Pardon ? »
Le sujet laissa son regard se perdre dans le vide quelques instants, gardant un air pensif… Avant de sourire en se tournant vers le mafieux une fois encore. Fut un temps où je me demandais s’il existait un endroit pire que les enfers où pouvaient échouer les hommes… Je viens de m’en souvenir. Du nom que j’avais donné à cet endroit. Et d’ailleurs … Je pense … Que je vais également l’adopter. Comme « nom à moi », comme vous dites. Vergetelheid. Ça me paraît bien.
« Merveilleux. »
 
Le chef mafieux, bien que légèrement confus, écarta les bras avec un large sourire. La gestuelle n’avait pas de signification particulière, outre que de montrer sa satisfaction de voir le sujet 13 si … Docile ? Coopérative ? Enjouée ? Toujours était-il que tout allait pour le mieux, et qu’il en était honnêtement satisfait … Jusqu’à la demi-seconde après laquelle sa main s’éleva au-dessus du niveau de son écran d’ordinateur, et devint donc visible pour le sujet. « Vergetelheid », puisqu’elle venait de choisir son nouveau nom, lança la boule à neige. Avec tant de force que cette dernière, lorsqu’elle percuta les doigts du mafieux et la télécommande qu’il tenait, en fit … une charpie indescriptible. Bien sûr, la boule avait explosé à l’instant même où elle avait rencontré sa cible, mais cela ne l’avait pas empêché de faire énormément de dégâts. Le mafieux hurla d’ailleurs aussitôt de douleur, se recroquevillant sur lui-même en tenant son poignet blessé. De son côté, la petite tueuse ricana légèrement, et glissa ses doigts entre son casque et sa mâchoire … Avant de s’immobiliser. Reprenant lourdement sa respiration, le criminel observa la petite évoluée peiner quelques instants … Avant, subitement, que la partie du casque qui couvrait son menton n’éclate purement et simplement. Tordant le reste de la structure, elle balança l’objet désormais inutilisable sur le sol, et secoua la tête, faisant remuer son absurdement longue queue de cheval rousse. Soupirant de satisfaction, elle regarda une nouvelle fois le propriétaire de l’usine, ayant un petit geste du menton pour désigner sa main.
 
Sans rancune, hein ?
« Petite CONNE ! »
 
Le mafieux leva sa main valide. Le sujet ne bougea pas. Et brusquement, un arc lumineux partit de la paume du patron avec une détonation, et percuta la petite tueuse en plein poitrine, la déstabilisant et la faisant reculer de quelques pas. Poussant un cri de rage, le mafieux sembla se mettre entièrement à briller, et relâcha un second rayon, beaucoup plus intense que le premier. Tellement, en réalité, que la tueuse fut littéralement clouée au mur, et s’enfonça légèrement dans l’étagère. L’attaque, désormais continue, fit sauter l’électricité dans la pièce entière, des arcs électriques partant du petit corps pour frapper le sol, les murs, les livres à côté d’elle et la vitre de la fenêtre non loin. Environs 5 secondes s’écoulèrent, durant lesquelles le bruit assourdissant du jet énergétique déchirant l’air fut la seule chose audible dans le bureau, sans parler d’une bonne partie de l’usine. Puis, aussi brutalement qu’elle avait commencée, l’attaque se termina, et Vergetelheid tomba à terre.
 
« Sans rancune … Drôles de dernières paroles, pour quelqu’un que sa propre envie de vengeance a condamné à mort. Ça t’a plu ? L’équivalent de ce que ce site tout entier consomme en presque dix mois. Ça n’a pas été plaisant, facile, et encore moins gratuit d’accumuler toute cette énergie, mais j’étais presque sûr que même si on déployait toute la bonne volonté du monde, tu serais tout de même assez stupide pour tenter d’agresser quelqu’un … Voir moi. »
Donc … Vous êtes … à sec.
 
Le mafieux se tétanisa. La première attaque aurait suffi à faire perdre connaissance à un homme ordinaire. La seconde l’aurait réduit en cendre. Ses projections d’énergie n’étaient pas électriques ou calorifiques, mais elles se dispersaient normalement dans le corps et les tissus, brûlant absolument tout ce qu’elles traversaient avant de se disperser dans l’air ou le sol … Elle n’aurait pas dû survivre à ça. Rien n’aurait dû survivre à ça. Pourtant, la petite rousse posa un poing sur le sol, et poussa pour se relever. Difficilement. Lorsqu’elle y parvint, elle ne se tenait clairement plus aussi droite qu’avant, et malgré le rictus qui ornait son visage, elle grimaçait de douleur. Une plaie à vif était parfaitement visible sur sa poitrine, là où le rayon avait frappé. Ses lèvres s’étirèrent encore un peu plus … Révélant des dents noyées de sang, qu’elle cracha sur la moquette brûlée.
 
Moi qui me demandais … Pourquoi les lumières vacillaient depuis ce matin … He … He he … Bon. S’avançant lentement vers le bureau, la petite tueuse ne regarda même pas le mafieux. Elle se contenta de saisir la chaise en fonte … Et de se hisser dessus pour s’asseoir. Un instant, le mafieux avait cru qu’elle allait tenter de le tuer … Mais elle ne fit aucun geste agressif. Elle se contenta de laisser sa tête partir en arrière, de soupirer … Et d’ouvrir un œil pour le regarder, tirant rapidement un sourire moqueur. Vous savez … Vous aviez raison … en disant que tous les tests … Portaient pas leurs fruits tout de suite … Et j’peux pas dire que j’ai beaucoup été … frappée par cette attaque en particulier … Mais j’crois que là … ça en fait un nombre suffisant … de similaire pour que … j’commence à avoir une bonne immunité … hhhh … Désolée pour la boule à neige ... au passage. Venant lentement se passer une main sur le visage, elle le massa légèrement en avalant sa salive. J’vous en enverrais une … pareille … quand j’irais visiter ST Petersburg …
« … quoi ? Tu ne … Tu voulais juste détruire la télécommande et le casque ? »
 
Rouvrant les deux yeux cette fois, la petite tueuse offrit un regard des plus condescendants a son ancien patron, comme s’il venait de sortir une énormité. Alors qu’elle était là, à récupérer, il put voir en temps réel d’étranges marques rouges commencer à partir de la plaie qu’elle avait au centre de la poitrine, et se déployer sur son corps … Avant de briller de façon intense, et de … Chauffer ? Vu le comportement de l’air au-dessus, c’était l’hypothèse la plus probable. Un moyen d’évacuer le surplus qu’elle venait d’encaisser.
 
Vous savez, un de mes premiers souvenirs des tests … C’était un « scientifique » … qui me mettait la main à plat sur une sorte de plaque métallique percée … Qui faisait passer des sangles pour s’assurer que j’avais chaque doigt déplié et que je ne pouvais pas les bouger … et qui se saisissait d’un marteau à viande. Pour frapper le plus fort possible. Et s’assurer que je n’esquive pas. Le regard de la petite tueuse resta fixé sur son interlocuteur quelques instants … Avant qu’elle ne baisse les yeux sur sa propre main. J’aurais adoré pouvoir oublier ce moment. Et j’aurais encore plus aimé pouvoir éjecter la cervelle de ce type à coup de poing. La même chose pour celui qui m’a capturé et fait perdre la mémoire. Et celui qui m’a racheté pour les tests en virologie, même s’il voulait surtout sauver des gens. Et la même chose pour un de vos prédécesseurs … Il y a tant de gens à qui j’aurais voulu faire payer. Lâchant un soupire, elle ferma son poing griffu, avant de le rouvrir lentement. Puis, elle sauta de la chaise, ouvrit la valise, et se mit à regarder ce qu’on lui avait mis à disposition comme vêtements. Mais maintenant ils sont tous morts. Depuis un certain temps, pour certains. Et moi … Je suis capable d’endurer à peu près n’importe quoi. Vous, tout ce que vous avez fait, c’est hériter de moi, et me coller une bonne décharge électrique en 35, lorsque j’avais un peu insisté pour retourner péter la gueule à un de nos anciens clients. Alors bon. Disons que votre main, ça me suffit comme vengeance, et partons sur les bonnes bases dont vous parliez tout à l’heure. Sans rancune ?
 
Au moment où le patron mafieux allait répondre, deux hommes armés entrèrent dans le bureau, et braquèrent aussitôt leurs fusils sur le sujet, qui cessa un instant d’observer le T-shirt pour enfant qu’elle avait trouvé. Voyant le patron à la fois blême et transpirant, un des gardes épaula son fusil d’assaut et retira la sécurité, doigt sur la détente … mais il attendit la confirmation de son chef. Ce dernier, qui tremblait encore légèrement, finit par lever sa main valide.
 
« Tout va bien. Faites juste venir le docteur Glotezerg et du matériel médical. Et … éteignez le feu, dans le coin de la pièce, si possible … »
 
Un des gardes, avisant ce dont il parlait, se retourna aussitôt pour aller chercher un extincteur sans poser de question. L’autre retira de son dos le « sac » de plus d’un mètre de long qu’il portait, et le posa à côté de la chaise de l’ancien sujet 13.
 
« Je ne suis pas sûr que nous aurons le temps de vous ausculter correctement avant votre départ … »
Peu importe. Je me change et j’y vais. Je profiterais du blizzard. La prochaine ville est à 15 kilomètres, environs ?
« En effet … Vous voulez que je fasse préparer une motoneige et un conducteur ? Dans ces conditions … »
Non, oubliez ça. Enfilant le T-shirt et un pull par-dessus sa robe partiellement brûlée, Vergetelheid se fit craquer la nuque avec un soupire, et commença à ranger ses nouvelles affaires, posant la lourde encyclopédie sur les travaux de Darwin au-dessus des vêtements. De quoi bouffer pour les prochaines heures, une bouteille d’eau et une grosse couverture, si vous avez ça qui traîne. Je vais essayer de pas me faire voir pour les … Disons, 50 ou 60 prochains kilomètres. Je vous appelle la semaine prochaine pour faire le point.
 
Sortant de son sac le « pistolet » de près d’un mètre de long qu’elle avait à plusieurs occasions pu utiliser durant ses missions, Vergetelheid tira sur le levier pour observer l’intérieur de la chambre, et visa un mur avec. Il n’était pas chargé, bien entendu, elle voulait juste se rappeler de son poids et de sa prise en main. Le patron mafieux, de son côté, la regardait en s’interrogeant sur l’avenir proche … Puis, son regard passa à la fenêtre, et à la tempête au-dehors. Qui semblait redoubler d’intensité.

Les recherches menées par les autorités pour retrouver « la petite apocalypse » du 12 septembre 2041 furent un échec. L’usine Maxwell perquisitionnée par la police et un petit détachement de l’armée disposait effectivement de plusieurs installations « étranges », mais rien qui aurait pu rattacher l’endroit à la petite terroriste qui défrayait régulièrement la chronique depuis tant d’années. Elle intervint d’ailleurs environs 3 semaines plus tard à Moscou, où elle balança un politicien fermement acharné à la capturer par la fenêtre de son bureau, du 30ème étage de l’immeuble de sa compagnie. Elle disparut ensuite sans laisser la moindre trace, faisant même douter certains de son existence … Jusqu’à son apparition suivante. Durant plus d’une décennie, elle sembla prendre un malin plaisir à jouer au chat et à la sourie avec les autorités, affrontant un héros ici, commettant un assassinat ou démolissant un bâtiment par-là, puis disparaissant totalement pendant quelques jours, semaines ou mois. Si les autorités russes parvinrent plusieurs fois à la dénicher de ses planques, elles ne parvinrent en revanche que deux fois à la capturer … Coup sur coup, elle s’évada avant même qu’on ait pu la transporter en centre de détention sécurisé.



Elle annonça cependant son « vrai » nom lors d’une allocution présidentielle en 2063, profitant d’une conférence de presse du président russe. Tombant – littéralement – des cieux directement sur la scène, et prenant le micro pendant que la plupart des personnes présentes, ministres, journalistes ou badaud, prenaient la fuite, elle fit un discours court pour donner son –vrai- nom à tous et toutes, et assurer à ceux qui pensaient qu’elle n’était qu’une légende urbaine qu’ils avaient tort. S’en suivit une course-poursuite agrémentée de combat durant laquelle elle dû semer / « mettre hors d’état de nuire » 5 héros officiels qui avaient cherché à la capturer. Suite à cet évènement cependant, elle quitta enfin la Russie et se mit à voyager autour du globe. D’une part, pour changer d’air, et aussi parce que sa dernière cascade avait beaucoup trop attiré l’attention sur elle et qu’il valait mieux qu’elle se fasse discrète pendant quelques temps. On reporta des signes de sa présence au Japon et au Tibet en particulier, ainsi qu’en Europe scandinave, mais aucune « intervention » de sa part ne fut publiquement connue sur aucun de ces territoires, et il fut rapidement évident que si elle était passée dans ces pays, elle n’y était en revanche restée que trois ou quatre ans, au maximum. Elle fit un passage bien plus court sur le territoire américain, où elle affronta une étoile montante du monde héroïque, All might. Elle fut défaite, mais parvint à prendre la fuite, et continua son tour du monde dans les semaines qui suivirent.



Dans les deux pays asiatiques cités plus tôt cependant, plusieurs moines témoignèrent des mois plus tard qu’elle avait passé beaucoup de temps dans des temples, aussi bien pour apprendre des techniques de méditation que pour simplement discuter et apprendre quelques éléments de leurs styles de vie ou de pensée. A part un manque ahurissant de politesse qu’elle avait progressivement travaillé à rectifier, elle n’avait cependant causé aucun problème, et avait même généreusement remercié (financièrement) ceux qui l’avaient accueilli. Plusieurs professeurs de kendo dire également l’avoir vue demander des leçons, qu’ils avaient bien entendu refusées, pour ceux ayant témoigné. Certains laissèrent cependant sous-entendre qu’ils avaient eu l’occasion de vérifier son niveau, et qu’elle possédait déjà des bases solides, d’un point de vue purement technique. Beaucoup de théories sur le net laissèrent supposer que celui ou ceux qui avaient effectivement accepté de l’entraîner ne l’avaient certainement pas raconté.



Des témoignages beaucoup plus nombreux et crédibles affirmèrent en revanche, dès l’été 2084, qu’elle s’était vraisemblablement installée pour de bon aux États-Unis, où elle reprit de façon « active » son ancienne activité de super-criminelle à louer. En effet, le contrôle plus strict et la raréfaction générale des héros sur le continent américain eut l’effet secondaire problématique de lui laisser une bien plus grande marge de manœuvre pour commettre ses crimes, qu’elle s’évertuait à garder en grande partie discrets. Si un certain nombre de ses contrats restaient commandités par la mafia russe, elle se mit en revanche à travailler en collaboration avec d’autres criminels de son envergure, certains louant parfois ses services pour l’aider à passer à tabac, voir exécuter un héros en particulier. Elle ne montra jamais de sympathie particulière pour les imbéciles heureux voulant conquérir la terre ou détruire l’humanité, mais l’argent n’a pas d’odeur … ou d’idées stupides. Les années passèrent, sans qu’on ne réussisse à la dénicher de ses différentes planques, ou que qui que ce soit ne parvienne à la capturer … Pratiquement jusqu’à l’heure actuelle, à vrai dire.



Lorsque l’effondrement survint, Vergetelheid se trouvait à Baltimore,  à attendre un potentiel contrat … A la place, elle vit les super du pays tomber les uns après les autres, tués par le biais du système même qui était supposé les « contrôler ». Et surtout, elle vit le chaos qui s’en suivit très rapidement après. Et elle en profita pour … S’amuser. Démolir quelques vigilants de dernière minute, qui voulaient restaurer l’ordre. Démolir quelques vilains un peu trop excités par les cadavres de héros aussi, qui se mettaient à rendre l’air irrespirable. Elle passa quasiment 48 heures les poings en sang, à se balader en ville, au son des conflits et des combats, à sélectionner ses bagarres, ses cibles, et à se défouler sur eux. Après une longue sieste, elle investit ensuite un journal télévisé, et « présenta » une édition spéciale avec quelques employés, destinée à envoyer un message à qui voulait l’affronter qu’elle se rendrait à New York dans quelques temps. Cela ne manqua pas d’attirer quelques « connaissances », avec lesquelles elle émailla son voyage vers la métropole de combats sanglants. Mais lorsqu’elle atteint son objectif, le blocus l’empêcha de réellement accéder à la ville, aussi changea-t-elle de destination. Direction, Starfish.



Où elle se dégotta une nouvelle planque la semaine de son arrivée. Un incendie « accidentel » d’un immeuble d’habitations qui força l’évacuation des locataires. Le propriétaire semble batailler avec les assurances pour savoir s’il doit faire réparer, démolir, ou vendre … Et pendant ce temps-là, le sujet 13 profite d’une vue dégagée sur l’océan, même si cela s’accompagne de quelques problèmes d’isolation.