Si l’on devait résumer le caractère de Mathilda en un point, ce serait assez simple. Ce serait tout simplement son égocentrisme. Non pas qu’elle se considère particulièrement supérieure aux autres, loin de là, mais elle agit principalement pour elle, se souciant peu des dégâts qu’elle peut provoquer autour d’elle. Du moins pas exactement. Elle est en réalité parfaitement consciente de ses actes, mais se soucie principalement de l’image qu’ils renvoient d’elle plutôt que de leurs conséquences pour les autres. C’est donc typiquement le genre de personne à faire ses coups dans le dos des gens, sans aucun remord. C’est certes beaucoup plus d’efforts que de tout faire au grand jour, mais c’est nécessaire si elle veut satisfaire son besoin d’attention. Elle a besoin d’être aimée, adulée même. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas simplement être une bonne personne ? Ce serait tout de même beaucoup plus simple, non ? La réponse paraît pourtant évidente aux yeux de Mathilda : bien sûr que non. C’est pour elle beaucoup plus simple de se demander comment faire ce qu’elle souhaite que de se demander si elle doit le faire. Et puis il y a un besoin de liberté cher à ses yeux. Et puis il y a une dernière raison, beaucoup plus difficile à défendre, qui est son plaisir totalement malsain à avoir l’ascendant sur une personne. Avoir une emprise sur une personne telle qu’elle se retrouve sans défenses. La sensation que cela lui procure est comme une drogue pour elle. Être adulée tout en balayant dans l’ombre tout ce qui la dérange, c’est en quelques sortes son bonheur. Comme si elle était une reine.

Mais bien évidemment, ce serait réducteur de résumer la sorcière à ce trait bien sombre de sa personnalité. Il y a aussi cette fascination qu’elle a, malgré elle, envers les gens dont le physique a beaucoup dérivé des humains que l’on connaissait avant l’apparition des alters. Elle ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour ces monstres d’une autre époque, bien qu’aujourd’hui peu de gens s’en préoccupent. Et puis même à côté de ça, il lui arrive d’éprouver de la sympathie pour d’autres personnes, elle fait juste bien attention à choisir le bon moment pour se relâcher. Cependant, un point important à noter, c’est que si Mathilda a quelque chose contre vous, vous pouvez être certain de le savoir rapidement. Les personnes à qui elle s’en prend en sont rarement surpris. Pas d’histoire de manipulations ou de trahisons.

Cependant, le point positif dans tout cela, c’est que les rares personnes à réussir à pénétrer le coeur de la sorcière deviennent de fait des gens particulièrement importants pour elle, de par leur petit nombre. Elle agit pour eux presque de la même façon qu’elle le ferait pour elle même, se salissant les mains pour protéger tout le monde. Elle peut même parfois faire passer ces rares personnes avant elle, ce qui ne manque généralement pas de surprendre lorsque ça arrive. De ce fait, elle peut devenir une alliée de choix, si l’on parvient à s’attirer ses grâces.

Mais au final, à quoi ressemble cette horrible créature au coeur tendre bien caché ? Une grande femme à la longue chevelure blanche avant l’âge, des yeux d’un bleu perçant et toujours richement habillée, c’est généralement à ça qu’on reconnait Mathilda. Il faut s’approcher d’elle pour voir toute l’attention qu’elle porte non seulement à sa tenue, mais aussi à son corps d’une étonnante douceur, venant parfaire sa stature de mannequin. Difficile en voyant autant de finesse de se dire qu’elle se salit les mains régulièrement le soir. Mais ce même charisme qui peut donner à de jeunes filles l’envie de lui ressembler sert aussi à la rendre effrayante lorsque l’on doit y faire face. Pas un seul défaut apparent, donnant l’impression que la femme est intouchable.

Mais que serait une vilaine sans un costume digne de ce nom ? Un grand chapeau de sorcière accompagné d’une longue robe fendue, tous deux d’un noir profond. Pour cacher son visage, elle porte également un masque vénitien en métal, couvrant une grande partie de celui-ci. A noter que la sorcière porte à son costume un soin démesuré, et qu’il s’agit pour elle d’une pièce inestimable.

Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur une petite famille New-Yorkaise : les Summers. Ou plutôt, nous allons nous intéresser à leur fille unique, nommée Mathilda. Cette famille a beau être petite, elle n’en est pas pour autant démunie, bien au contraire. Avec un père et une mère ayant fait fortune dans les affaires boursières, la jeune Mathilda avait le droit à un confortable avantage social dès sa plus tendre enfance. Elle qui aimait tant les histoires, elle en avait à foison. Toute la légende autour du couple interdit passionnait tout particulièrement la petite, bien qu’étant très loin d’en comprendre toutes les subtilités et les enjeux. Mais qu’importe, l’histoire était belle, et les années d’approximations n’avaient fait que le rendre encore meilleure.

Exposé comme ça, on pourrait penser que Mathilda était ce cliché de la petite princesse rêveuse, riche et surprotégée par ses parents, avec une cuillère en argent dans la bouche et le meilleurs précepteur du pays engagé exclusivement pour elle. Mais ce n’était pas vraiment ça, enfin pas tout à fait. Pour la cuillère en argent, ou tout du moins ce que la métaphore représente, on était en plein dedans. Pour le reste en revanche, on ne pouvait pas réellement en dire autant. Ses parents souhaitaient qu’elle ait tout de même une enfance relativement normale, donc elle allait à l’école comme tout le monde, au milieu d’autres enfants de classes sociales bien moins aisées. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mathilda ne faisait pas du tout tâche dans le paysage, bien au contraire. La jeune Summers était une vraie peste. Le genre de peste au style garçon manqué, qui vous attrape dans un coin en cours de récréation parce que vous lui avez mal parlé et qui ne vous laissera partir qu’après supplication de votre part. Le genre de nuisible que tout le monde préfère éviter, tout en sachant pertinemment qu’elle ne sera jamais renvoyée. Sur ce point là, ses parents avaient eu ce qu’ils voulaient : une enfance normale pour leur fille. Peut-être un peu trop normale. Mais tout n’était pas à jeter chez la jeune teigne. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Mathilda avait une sorte de fascination étrange pour ces personnes qui, contrairement à elle, avaient un physique très éloigné de la représentation historique d’un humain. Ces gens dont la lignée avait dérivé au fil des générations et des alters. Ces gens qui, il y a quelques générations encore, auraient été considéré comme de véritables monstres. Dans son école, il y en avait en particulier deux qui avaient attiré son attention : Mile et Lisa. Le premier était un garçon de son âge qui ressemblait beaucoup à ce qu’on appellerait un orc dans notre culture populaire, tandis que la seconde, d’un an plus jeune, correspondait plutôt à notre concept de harpie. Cela n’était certes plus très surprenant à cette époque, mais ça n’empêchait pas un traitement de faveur de sa part. Elle les avaient pris sous son aile, sans réellement leur demander leur avis. De toute façon, vu la timidité dont ils faisaient preuve, il s’agissait plutôt du genre d’enfant à se laisser marcher dessus. D’une certaine façon, la présence de Mathilda pour les défendre et servir d’interface avec les autres enfants leur était plutôt profitable. C’est ainsi que ce petit groupe que rien ne semblait unir au premier abord, s’est rapproché au fil des années, jusqu’à devenir presque inséparable.

Ce n’est qu’en changeant d’école en passant au grade supérieur, alors qu’elle avait quinze ans, que le caractère de Mathilda changea du tout au tout. Juste ces quelques mois de vacances scolaire semblait l’avoir changée radicalement. De jeune fille turbulente, elle passait à une adolescente plus calme et posée. Du moins en apparence seulement. La réalité était bien plus simple. Au fil des années, elle avait bien compris qu’on ne pouvait pas toujours gagner en y allant de front. Parfois, jouer à la gentille fille pour frapper dans le dos était diablement efficace. Et ce changement d’école était le moment parfait pour se mettre dans le rôle, dans cet établissement où presque personne ne la connaissait. Bien sûr il y avait quelques élèves de son ancienne école, dont ses deux amis, mais pas assez pour lui donner mauvaise réputation avant qu’elle n’ait le temps de se faire la sienne. Au final, son caractère n’avait pas vraiment changé, c’était juste la méthode qui était différente. Mais diable que c’était efficace. Être tellement appréciée que ses victimes, en se plaignant, n’étaient pas crues, et passaient même pour les mauvaises personnes. Elle regrettait même de ne pas avoir compris ça plus tôt.

C’est aussi dans cette même période que lui vinrent ce genre de questions existentielles tel que "Qu’est-ce que le bien et le mal ?", ou encore "Qu’est-ce qui est juste ?". Plutôt paradoxal venant d’une demoiselle qui n’avait rien de bien innocent. On pourrait se dire que ces questions elles les avaient déjà balayées d’un revers de main depuis un moment, ou qu’elle ne se les poserait jamais. Mais pourtant, cela venait la préoccuper par moment. Peut-être une façon de se rassurer qu’elle n’était pas si horrible que ça peut-être. Mais finalement, elle se rendra bien compte au fil des années que sa réponse à ces questions se feraient de plus en plus radicales, la confortant dans une vision bien loin de faire l’unanimité.

Mais en attendant, vint rapidement un âge fatidique dans la vie de Mathilda : la majorité. C’était en quelques sortes cet âge symbolique où l’on ne pouvait plus réellement rejeter ses responsabilités sur les autres, l’âge où il fallait se prendre en main. De ce côté là, elle avait pris de l’avance et savait déjà depuis un moment qu’elle souhaitait travailler dans la mode. Le soucis, c’était que bon nombre de marques étaient déjà bien implantées dans la région, et se lancer tête baissée là-dedans pourrait très mal se passer, y compris avec l’aide pécuniaire et relationnelle de ses parents. Ce qui semblait être une meilleure idée, c’était de travailler dans un domaine étroitement lié. C’est ainsi qu’elle se fixa rapidement sur cette idée d’être productrice de défilés. Il y avait tout pour lui plaire : un lien évident avec le monde de la mode, une capacité à se mettre sur le devant de la scène, et bien entendu la possibilité d’avoir à terme une influence forte sur les grands acteurs du milieu, sans pour autant passer par un besoin de concurrence. Et pour tout ça, Starfish semblait être le lieu rêver. New York lui paraissait beaucoup trop bien établie pour vouloir se faire un nom rapidement. Alors que dans cette ville encore jeune par rapport à l’histoire du pays, il y avait un coup à jouer.

Naturellement, elle ne se lança pas seule. D’un côté, ses parents lui permirent de commencer avec une certaine sécurité, et nombre de contact que certains n’auraient même pas après des années de métier. Et en plus de cela, elle avait réussi à convaincre Mile de travailler pour elle. Sa spécialité à lui, c’était la sécurité et la surveillance, et elle en avait évidemment besoin. Et pas que pour son travail. En effet, tout ça n’était qu’une façade. Une façade lui tenant à coeur certes, mais tout de même. Ses années d’écoles n’avaient pas disparues comme ça, et elle avait encore cette envie, voire ce besoin d’agir dans l’ombre. Récupérer ce sentiment d’être détestée de tous, tout en les forçant indirectement à feindre le contraire. Et bien sûr, elle voulait un effet décuplé, son ambition ne se limitait plus à quelques élèves dans un établissement parmis d’autres.

Evidemment, tout ça ne se ferait pas en un jour, loin de là. Mais après quelques années à travailler à peu près honnêtement, elle se décida à passer à l’action. Son premier méfait, si l’on pouvait appeler ça comme tel, était plutôt étrange d’un point de vue extérieur. En effet, elle se contenta juste de tout mettre en oeuvre pour se faire suspecter d’un vol qu’elle n’avait pas commis. Bien sûr, tout ça avait un sens, et cela était un pari pour la jeune femme. Toute sa stratégie se basait sur Lisa, cette amie d’enfance. En effet, l’alter de cette dernière consistait à forcer une personne à penser à elle au lieu d’une autre bien définie. Et avec une capacité comme celle-ci, elle s’était orientée dans des études de droit. Et comme on pourrait s’en douter, Mathilda lui avait "très légèrement" soufflé l’idée. Et c’est de cette façon que Mathilda, en garde à vue, fut défendue par Lisa, jeune avocate diplômée. L’idée était de voir à quel point cet alter pouvait aider Mathilda de se soustraire aux forces de l’ordre, dans un contexte où elle serait effectivement coupable. Le moins qu’on pouvait dire, c’était que sur l’agent en charge de sa garde à vue, l’effet fut dévastateur, et elle put sortir presque aussi rapidement qu’elle était arrivée, faute de preuve et d’une suspicion soudainement amoindrie.

Forte de cette expérience, Mathilda se décidera à réellement passer à l’acte cette fois. Son idée, c’était de devenir une sorte de perceptrice de l’ombre. Cette personne que vous engagez pour récupérer un bien que vous considérez vous être dû. Mais bien sûr, elle commença à se laisser connaître dans son domaine, la mode. Avec une fausse identité, ses contacts et ses tarifs bien trop importants pour la population moyenne, elle s’assurait de rester dans les hautes sphères de la société, même de ce côté-ci. Après un début en demi-teinte, elle parvint tout de même à se faire un début de réseau clandestin. Mais ça n’allait pas. Il y avait des héros, des villains, et elle n’était qu’une ombre sans nom. Et pour changer ça, elle avait déjà depuis un moment des vues sur un costume qui lui paraissait idéal, à la fois esthétiquement que symboliquement. Avec ses deux comparses de toujours, elle parvint à mettre la main sur un accoutrement de sorcière, ancienne tenue d’une héroïne depuis longtemps à la retraite, et dont le seul exemplaire était gardé par sa descendance. Cependant, tout ne s’était pas réellement bien passé, et c’était la première fois de sa vie que Mathilda pouvait constater qu’elle était capable du pire. Elle n’était pas réellement capable de décrire la sensation qu’elle eut cette nuit là en dépossédant un corps de sa vie, mais ce n’était ni agréable ni désagréable. Ce n’était pas une sensation qu’elle recherchait particulièrement, mais elle ne la dérangeait pas pour autant. Elle semblait juste en être capable. Et à partir de ce jour, ce costume qui était jusqu’alors un symbole de justice devenait un symbole de crime. Ainsi naquit WitchyMe, une référence plus qu’évidente à une ancienne vilaine connue de tout le pays.

Mathilda continua sa carrière ainsi, jonglant entre son travail de productrice (et par moment de modèle), et son "travail" nocturne de perceptrice. Petit à petit, son influence dépassa le domaine stricte de la mode pour s’étendre à d’autres sphères, mais toujours avec de gros clients. Tout son business était basé sur cet accord tacite et fragile que tout le monde pouvait avoir besoin d’elle, et que donc tout le monde se taisait. Et auprès de sa famille, elle n’était qu’une riche femme d’affaire. Du moins pas réellement. Mathilda mettrait sa main à couper qu’ils étaient également au courant d’une façon ou d’une autre, mais le sujet était tabou.

Et le jour fatidique arriva, en cet été 2099. De ses proches, Mathilda n’avait perdu "que" sa tante, une héroïne avec qui elle entretenait une relation cordiale. Bien sûr, sur le moment cela était un choc. Mais passé la surprise de toute cette masse d’information, cela ne la traumatisa pas plus que de raison. C’était bien entendu attristant de perdre un membre de sa famille, même si on n’est pas particulièrement proche de cette personne, tout comme cela la touchait de voir sa ville natale dans cet état. Mais elle n’allait pas mettre des semaines pour s’en remettre. Au contraire, dans cet attentat elle vit une opportunité en or. Celle de conquérir un nouvel endroit : les réseaux sociaux. En effet, de ses souvenirs d’école, il lui manquait encore cette composante des victimes se faisant lyncher alors qu’elles n’avaient rien fait de mal. Et pour ça, les réseaux sociaux était un outil puissant. Mais pourquoi attendre maintenant ? Et bien la raison était toute simple : la paix. Avec la situation de crise dans tout le pays, même en s’exposant davantage de la sorte, elle était confiante pour ne pas être une priorité des héros ou des forces de l’ordre. Et en se faisant passer pour une sorte de robin des bois des temps modernes sur Ukato, elle aurait enfin l’attention qu’elle souhaitait.

Et c’était une activité plutôt inhabituelle qui commençait à prendre lentement de l’ampleur sur le réseau social numéro un. Des vlogs, des selfies avec ses victimes et même quelques rencontres avec des abonnés tirés au sort. Elle était bien loin des grands influenceurs d’Ukato, mais au fil des mois, elle avait accumulé une petite fanbase, grandissant à son rythme. Mais récemment, une nouvelle lubie avait atteint la sorcière : se trouver un ou une apprenti. Quelqu’un à qui léguer son patrimoine le jour où elle ne pourrait plus s’en occuper.