Ne pas y aller. N'était-ce pas encore la meilleure solution? Et juste dire qu'elle était trompée de date ou bien avec de la chance ce héros serait bien heureux de ne pas avoir de travail en plus et elle n'aurait aucun souci. Et elle n'aurait qu'à traîner en ville toute la journée pour ne pas se faire surprendre à son appartement par l'autre folle de Medusa. Et puis tout le monde sera alors content, fin de l'histoire, et tout était bien qui finissait bien?

Seulement voilà, les choses étaient rarement aussi simples et l'administration tout comme Medusa lui avaient faite comprendre que ce genre d'activités était assez surveillé au niveau de la participation. Après tout, on envoyait des débutants en mission, en quelque sorte. Bien qu'accompagnés, la ville n'était pas toujours l'endroit le plus sûr pour des héros inexpérimentés à la merci des vilains. Mais ils devaient bien se faire les dents tôt.

Un sacré raisonnement de merde selon la jeune femme qui se dirigeait donc vers l'adresse qu'on lui avait indiqué de rejoindre. Avec un peu de retard. Et, en plus, il n'était pas trop tard pour se perdre, encore. Réajustant un petit sac contenant quelques affaires qui n'avaient rien d'héroïques et laissant échapper un grand et sonore soupir, la brune continua de se diriger vers sa destination.

La pluie tambourinait sur le goudron et les habitations, et se rassemblait en des petits perles d'eau partout sur sa peau et ses vêtements -banaux, qui n'avaient rien d'une tenue de héros qu'elle n'avait de tout de façon pas- avant de glisser jusqu'au sol, sans la mouiller, tous ses vêtements et sa peau altérés par son pouvoir pour éviter cet état de fait. Tout ça parce-qu'elle avait oublié de prendre un parapluie. Pourtant, les nuages qui recouvraient le ciel il y a une dizaine de minutes ne semblaient pas menaçants... Mais il fallait croire que cette journée allait bien être merdique de son commencement, jusqu'à sa fin.

Enfin, après plusieurs minutes de marches sous une averse qui avait encore éreinté son moral et sa motivation, elle se retrouva proche du logement de ce Polarity. Un héros dont -elle devait bien l'avouer- elle ne connaissait rien. Ce n'était pas vraiment comme si elle s'y intéressait. Alors qu'elle approchait du point de rendez-vous avec le héros, elle eut une idée. Une drôle d'idée un peu saugrenue, mais qui pourrait peut-être fonctionner. Désactivant ses capacités, elle laissa alors la pluie faire effet sur elle et la tremper de bas en haut. Si son plan échouait, au pire, son alter devrait lui permettre de se débarrasser d'une bonne partie de toute cette eau assez rapidement. C'est donc complètement trempée que Luna arriva devant l'antre de ce fameux héros inconnu.

En espérant qu'elle ne se fasse pas engueuler pour son retard d'un bon quart d'heure, elle appuya sur la sonnette, avant d'attendre quelques secondes. « Polarity? Je suis Luna Evans. Je viens pour... Enfin, vous savez pour quoi. » s'exprima-t-elle d'une voix assez forte pour être entendue à travers la porte, une voix bien loin de son état d'esprit, assez neutre, loin de son état d'esprit bien sombre, bien que légèrement tremblotante. Après tout, la température n'était pas des plus hautes, et elle était trempée de la tête aux pieds. La jeune héroïne malgré-elle se prit d'ailleurs à rêver que ce héros n'ait pas été informé de sa venue, qu'il ne sache pas qui elle était... Et qu'elle puisse alors se contenter de déblatérer quelques excuses, puis de partir. Loin. Même sous la pluie et complètement trempée. Mais là encore elle savait qu'elle rêvait.

Elle espérait juste qu'il soit cool, et, à vrai dire, décide héroïquement de ne pas sortir par ce temps de merde. Même si elle n'aimait pas vraiment les héros, si elle pouvait passer sa journée devant sa télé à siroter un thé ou un café... Mais là encore elle rêvait, elle fantasmait ses échappatoires encore et encore. Ce qui était certain, c'était qu'à la moindre opportunité, elle se carapaterait.

Mais pour le moment, elle attendait, bras croisés, ayant froid, sous la pluie, et espérant qu'un grand héros au grand cœur comme ce Polarity allait s'occuper d'une pauvre apprentie héroïne un peu trop étourdie pour avoir récupéré de quoi se protéger des éléments en cette journée nuageuse. Après tout, n'avait-elle pas justement mérité de passer la journée devant sa télé? Au mieux, elle gagnera peut-être une heure ou deux. Au pire, c'était un connard et il allait l'envoyer en patrouille comme ça. Mais les héros ne pouvaient pas tous être tous plus vils que Medusa non plus. Ils étaient censés être plutôt sympas, même, non?

Situé au rez-de-chaussée d’un petit bâtiment en centre-ville, le local de Polarity ne payait pas de mine vu de l’extérieur. Contrairement à certains héros qui s’affichaient de partout, le canadien avait simplement écrit son nom et sa qualification sur une plaque en métal à côté de la sonnette. En même temps, il n’y était pratiquement jamais. Préférant le terrain, le héros ne conservait ce local que pour les visites de l’un ou l’autre client, qui se faisaient rare ces derniers temps mais n’étaient pas à négliger pour autant.

L’intérieur était très moderne. Un mobilier neuf aux bords arrondis. Des sièges sortant directement du plafond. Une machine à café qui sert du thé uniquement. Tout ce que la nouvelle technologie avait à offrir. Et dans ce magnifique environnement, un homme en armure tournait en rond depuis une vingtaine de minutes. De temps en temps, il regardait son horloge holographique avant de grommeler.

- Déjà dix minutes qu’elle devrait être là… Qu’est-ce qu’elle niaise ?

La patience n’était pas le fort de Polarity. En vérité, il n’avait eu de cesse de penser à ce rendez-vous depuis son réveil et ne vivait que par procuration le temps que sa stagiaire arrive.

Stagiaire…

Voilà un mot qui le perturbait au plus haut point et le mettait dans tous ces états. Il n’avait que faire que la demoiselle débarque en retard. Après tout, c’est une gamine… Et rares sont ceux qui ne se sont jamais demandés s’ils pouvaient gratter cinq minutes de sommeil avant de se rendre compte qu’ils en avaient plutôt gratté cinq de trop depuis trente bonne minutes. Donc en soit, c’était des choses qui arrivent. Cependant ! Être maître de stage n’est pas une tâche à laquelle on est préparé avant d’y être. Et malgré son âge, Polarity n’avait jamais eu encore à pratiquer ce genre de choses.

Au Canada, chacun est héros de fait. Certains héros en prennent d’autres plus jeunes sous leur aile, mais ce n’était pas la pratique courante. Donc à 38 ans, Polarity n’avait encore jamais eu à former quelqu’un. S’il avait accepté Luna à la demande de Médusa, c’était uniquement parce qu’après l’Effondrement, il souhaitait lui aussi donner du sien pour former la nouvelle génération dont ce pays avait cruellement besoin. Il s’était rendu compte de l’importance de bien les préparer et prévoyait de prendre lui-même un apprenti. Mais avant, ce stage était un bon exercice pour voir si ses compétences actuelles suffiraient ou s’il devrait prendre des cours du soir de pédagogie.

- Calme-toi le pompon, elle va pas tarder et tout se passera -DING DONG- …

Polarity se tourna vers la porte. Il n’avait pas rêvé, on venait de sonner. Cela ne pouvait être qu’une personne mais par précaution, il s’approcha du judas à pas de velours (autant que faire se peut en portant une armure métallique qui fait kling kling à chaque pas). Quand soudain une voix s’éleva et le poussa à reculer de deux pas.

C’était elle !

Il rajusta ses cheveux, se sentit les aisselles, toussota un petit coup, se redressa de toute sa stature, puis ouvrit.

- LUNA ! BIENVENUE ! Je suis Polarity. Dit-il en imitant de manière décontractée un salut militaire. Content de te voir, j’ai cru que tu allais me passer un sapin haha. La brunette qui lui faisait face était trempée de la tête aux pieds. Oh, mais tu es transie de froid ! Qu’est-ce qui t’a pris de sortir sans de quoi te couvrir ? Ne bouge pas, j’ai ce qu’il te faut !


La porte se referma sur Luna. Lorsque Polarity la rouvrit, il tenait une veste à capuche épaisse, jaune fluorescente, comme celles dont se servaient certains agents pour faire la circulation.

- Mets ça ! Tu sécheras plus vite avec et tu en auras besoin puisque nous allons avoir fort à faire dehors. Il ferma ensuite son local et s’avança sous la pluie battante, qui cliquetait sur son armure. Allez, en avant dans la joie et la bonne humeur ! Yeaaaaaah !

Avec ce temps de chien, il fallait avoir du peps pour ne pas se laisser déprimer… Et ça évitait de trop réfléchir à ses craintes.

- Ils ont dû vous l’apprendre à l’école, que c’est surtout tôt le matin et en fin d’aprèm que l’activité héroïque est la plus forte. Certes, en soirée peuvent se produire de gros événements. Mais ils sont relativement rares. Alors qu’à ces horaires, de nombreuses personnes sortent pour se rendre au travail, rentrer chez eux après une cuite, partir en voyage, etc. Les risques sont par conséquent les plus élevés et incluent très rapidement un nombre maximal de personnes. C’est pourquoi, les héros se doivent de redoubler de vigilance et que nous allons actuellement au tram. Jusque là-bas, je veux que tu m’indiques chaque élément que tu vois qui puisse être une source de danger. Si tu sais les repérer, tu sauras les anticiper.

Le héros à l’armure flamboyante était fier de sa première leçon. Il bomba le torse en se disant que ce n’était peut-être pas si difficile de jouer les professeurs.

La jeune femme ne tarda pas à entendre des pas dans le local du héros, qui ne tarda pas à se faire remarquer avec un enthousiasme exacerbé. Faisait-il exprès pour essayer de lui remonter le moral? Avec ses expressions étranges cela ne lui donnait même pas un air très sérieux mais bon, depuis l’effondrement presque tous les héros étaient étrangers. Celui là ne devait pas déroger à la règle. Mais bon, passer un sapin? Ce n’était pas plutôt poser un lapin? En tout cas il remarqua assez rapidement qu’elle était effectivement frigorifiée.

« ... Faisait juste gris quand je suis partie, je pensais pas qu’il allait pleuvoir autant... » répondit-elle alors, geignant légèrement. Peu importait si cela faisait d’elle une héroïne mal préparée et peu responsable... Tant que son plan fonctionnait et lui offrait au moins quelques minutes de répit. Mais même ça n’avait pas marché. Il lui avait tendu une veste de chantier d’un jaune fluo horrible, avant de sonner la charge pour aller patrouiller à l’extérieur sous ce temps de chien. Et dans la joie et la bonne humeur en plus? Par ce temps de chien et alors qu’elle était en plus trempée?

Elle aurait bien aimé râlé, et en avait envie, mais elle avait l’air plus surprise et décontenancée qu’autre chose alors qu’il partait vers sa mission avec entrain. Non, elle pourrait râler autant qu’elle voulait, rien n’arrêterait cet homme pour lui faire passer un mauvais moment. Luna enfila donc cette veste horrible, sans trop faire apparaître son manque de motivation pour autant. Elle ferait mieux de lui donner l’impression qu’elle était une étudiante normale. Mais pas normal au point de crier son entrain, et elle préférait jouer la petite nouvelle surprise que celle qui était pleine de mauvaise volonté. « Y.. yaay? » hasarda-t-elle avec un minimum de retenue. Dans une autre situation elle n’aurait pas vraiment hésité à le gueuler avec lui mais... Là elle n’avait pas le moral.

L’une des premières choses qu’elle fit fut d’utiliser son alter pour recolorer sa veste dans un noir uni et sobre, qui lui seyait bien mieux que ce jaune poussin horrible. La suivante, fut de profiter de la couverture de sa veste pour se débarrasser de toute la flotte qui imprégnait ses vêtements et ses cheveux. Une opération discrète pour qu’elle redevienne parfaitement sèche. Si besoin elle pourrait toujours utiliser son alter pour redonner une impression de mouillé.

Le prétendu héros continua alors avec une première leçon, se dirigeant droit vers l’arrêt de tram le plus proche tout en lui indiquant la marche à suivre. Parce-qu’en plus elle allait devoir chercher des choses et répondre à des questions? Ce n’était pas juste une simple patrouille agrémentée de quelques conseils? Décidément, il était assez demandant comme héros, surtout à une gamine comme elle.

« Ca ne fait pas si longtemps que les cours ont repris... On n’a pas appris grand chose pour le moment. » fit-elle alors remarquer, même si elle, particulièrement, n’avait pas appris grand chose parce-qu’elle n’écoutait pas ou bien ne venait pas en cours. Mais bon, avait-elle vraiment besoin de ce genre de cours stupides alors que de la simple logique pouvait très bien suffir à analyser ce genre de situations. L’on était encore le matin, assez tôt, et il y avait effectivement pas mal de monde autour de la station de tram.

La brune soupira, toujours encapuchonnée sous sa veste noire. Enfin, celle de Polarity. Elle ne l’avait pas volée, surtout parce-qu’elle n’en voulait pas. Donc il n’avait pas de risques pour ses affaires. Elle avait assez observé les environs, les bâtiments, les routes, les voies... En seulement quelques secondes, son bilan était clair : A quoi bon traîner ici? Y allait-il vraiment avoir un vilain qui allait commettre un attentat ici même juste pour le plaisir? Aucun endroit qui n’était vraiment d’intérêt, à part peut-être un distributeur automatique qui devait renfermer un petit paquet d’argent. Elle n’avait peut-être pas les yeux d’une héroïne, mais, clairement, elle n’avait pas perdu ceux d’une voleuse.

« Hum... Niveau risques, vu la foule, je pense que y a de grands risque de pickpockets. Sinon une potentielle attaque de l’ATM là bas, mais bon, si on devait mettre un héros devant chaque machine à billets, on serait pas rendus. » commença-t-elle alors. * Y a aussi un grand risque que je disparaisse mystérieusement dans cette foule, d’ailleurs...* pensa-t-elle tout en envisageant encore des situations de repli. Après tout, s’ils étaient malencontreusement séparés dans tout ce monde, qu’y pouvait-elle si elle avait perdu la trace du héros?

« Sinon j’vois pas. Un vilain aurait pas de raisons de causer des soucis ici, le lieu a pas de symbolique, pas de monuments, pas de banques. Juste peut-être la bijouterie, là bas, aussi, qui pourrait être braquée, mais c’est tout. Si quelqu’un veut s’en prendre aux civils, on peut pas surveiller tous les points d’entrée possibles. » continua-t-elle alors. Après, le danger, si elle était paranoïaque, pouvait venir d’absolument partout. D’une fenêtre d’un immeuble proche, ou d’un toit, de la route, d’un tram ou d’un fou dans la foule. Bien trop d’endroits à regarder en même temps pour être vraiment efficace. Mais bon, en point d’intérêt pour un criminel, Luna ne voyait vraiment que les objets de valeur... Déformation professionnelle dirons-nous. Après tout, elle était persuadée que tous les vilains ou presque avaient au minimum un but : S’enrichir ou bien faire valoir leurs idéaux. Et la zone actuelle était sans autre intérêt que le nombre de civils s’y trouvant. Et si un vilain voulait commencer à faire un carnage ici, le mieux qu’ils pourraient faire, c’était intervenir alors qu’il commençait. Trop de monde, trop d’angles et de véhicules à surveiller.

Et à vrai dire, si elle pouvait ne rien surveiller de plus et juste se balader sous la pluie, c’était encore le mieux. Maintenant, s’ils s’engageaient dans la marée de personnes sur la place, peut-être pourrait-elle tenter de s’éloigner du héros pour peu que les hasard les fasse se perdre de vue. Après tout, ce n’était qu’un accident, et elle était trop occupée à surveiller les civils et les environs. « Du coup j’espère que notre boulot n’est pas juste de répérer et d’arrêter les pickpockets. » déclara-t-elle après avoir laissé planer un petit silence. Déjà que le boulot de héros lui était très peu reluisant, s’ils fallaient qu’ils se contentent de ce genre de gibier, c’était vraiment la crise de l’héroïsme...