- Il est hors de question que je fasse ça.

Encore un rendez-vous avec l'inspecteur Heath, le type qui supervisait mon parcours au sein du poste de police, et qui s'assurait que je reste docile. Malheureusement, ce n'était pas lui qui se chargeait de me fournir le matériel dont j'avais besoin, son excès de zèle aurait pu m'être utile, pour une fois.
Je sentais qu'il savait que jamais, ô grand jamais je n'aurais accepté sa demande et c'est pour cela qu'en renfort, l'officière Hayes pointait elle aussi présente. J'avais compris leur petit jeu de bon flic-mauvais flic depuis le départ.

- Vous m'avez engagé pour retrouver des personnes bien précises et pour vous aider à stopper des criminels, pas pour aider des célébrités à la retraite qui ont flippé à cause de deux trois cyber bullies.

Et voilà le scandale du jour. L'inspecteur Heath voulait me mettre sur une affaire. Une vraie ! Un truc de vrai flic qui oeuvre pour le bien et qui n'hésite pas à se sacrifier pour les innocents, un vrai héro !
Très peu pour moi. Jouer les garde du corps pour un vieux riche trop grippe-sou pour payer sa propre milice privée. Peut être même qu'il s'agissait d'un type qui avait juste refusé de payer la protection de la mafia.

- Nous avons de fortes raisons de penser qu'une cellule anti-alter soit liée à cette vague de violence. Votre spécialité d'antan, si mes dossiers sont corrects.

Merde.
Une vague humiliante parcourra le long de mon échine, et je ne pouvais que baisser les yeux lancinamment, en direction de mes bottes. C'est vrai. Mon ancienne équipe était composée de criminels qui ne portaient pas les super héros dans leur cœur. Moi compris.

- Si nous arrivons à remonter les sources, l'inspecteur Heath continua, nous pourrons éventuellement retrouver vos anciens compagnons, ou tout du moins avoir une piste tangible.

- Et puis, on te laissera en interroger un, je suis sûre que tu sauras leur tirer les vers du nez. Rajouta l'officière Hayes, à demi assise sur le bureau de l'inspecteur. Le regard qu'il lui lança fut suffisant pour me faire comprendre que cela ne se ferait pas.

Un instant passa. Un instant durant lequel je pesai le pour et le contre.
Le Contre ? Mon instinct me hurlait que tout cela n'était qu'une mise en scène ridicule. Qu'il n'y avait aucun lien établi avec une quelconque milice anti-alter, et qu'ils n'avaient juste pas trouvé un autre bougre capable de remplir cette mission. Peut être qu'il s'agissait d'une célébrité extrêmement populaire, tellement célèbre qu'il leur fallait quelqu'un de non biasé pour faire correctement le taff. Peut être qu'il s'agissait de l'un de ces tocards gourous tristement célèbres parce qu'ils excitent les fachos, et qu'il leur fallait quelqu'un capable de ne pas le baffer sur-le-champ. Un genre d'arrière-petit fils de Ben Shapiro. Si c'était le cas, je laisserais probablement 15 secondes d'avance à n'importe qui voudrait le savater.
Le Pour... Mmmh... Est ce que j'avais vraiment le choix ?

- Okay. Je m'avouai vaincue. Pour cette fois.Mais je veux être payée à la journée. Le tarif habituel d'un freelance.

Les yeux de l'officière pétillèrent tandis que l'inspecteur gardait son air stoïque habituel. Aussitôt les papiers finis qu'elle me sortit du bureau et m'accompagnait dans les longs couloirs qui menaient aux salles d'interrogatoire, m'expliquant en bref tout ce dont j'avais besoin de savoir sur ces menaces. Puis, arrivé à la bonne salle, elle sortit le trousseau de clé et ouvrit bruyamment la porte capitonnée.

- Enfin, j'ai failli attendre !

A l'intérieur, une longue silhouette se trouvait au centre de la pièce. Assise sur une chaise,  elle s'était tournée vers moi. Je pouvais d'ailleurs voir qu'elle venait de renverser un sacré nombre de gobelets et tenait un steak dans ce qui semblait être sa main.
Pourquoi pas.

- J'espère qu'il y a une bonne raison pour que je sois encore ici à cette heure.
- Je te le laisse. Me glissa-elle, l'air grave. On dirait bien qu'elle ne voulait pas se friter avec lui, mh ?

Un suspect à interroger. J'allais m'amuser.

Je m'approchais subitement de lui, et envoyai violemment mon poing contre la table. Il était temps de reprendre le contrôle de la pièce.

- SILENCE !

Et le silence fut.

- Inutile de jouer ce petit jeu plus longtemps. Tous tes petits copains ont été libérés car ils nous ont indiqué qui était le cerveau de l'opération. Toi tu resteras ici jusqu'à ce qu'on ait toutes tes confessions signées en double exemplaire livrée chez le juge, le café et le croissant en prime. Crois-moi que pour cette affaire tu ne sortiras pas du trou avant au moins vin-- Monsieur Brown ! L'officière était elle aussi entrée dans la salle, m'interrompant au passage. - Je.. Je vous présente l'officière O'Malley, qui va se charger de votre protection pour..

Oups.

- Nous avons des raisons de penser que les attaques que vous avez subies ne sont pas isolées, et risquent d'escalader en violence. C'est pourquoi nous allons vous mettre sous protection policière pendant un temps indeterminé, le temps de trouver le responsable et de démanteler le réseau terroriste.

Je n'avais pas réalisé sur le moment, mais m'avait elle appelé O'Malley ? J'allais bénéficier d'un nouveau faux nom et personne ne m'avait rien dit ?

- Ouais. Exactement.

Tout sourire, les bras croisés et m'appuyant sur le bureau que le type venait de quitter, je fixai l'officière.

- Ca s'est mieux passé que j'aurais cru.

Elle, elle ne semblait pas aussi amusée. Pas non plus inquiète. Plutôt.. Désabusée ? C'était le mot ? Elle n'allait pas laisser passer ça, et elle allait forcément essayer de rattrapper le coup, c'était dans sa nature.

- Reste-là, je m'en occupe. Me dit elle, quittant à son tour la salle d'interrogatoire.
- Nooooon, laisse-le se faire frapper un petit peu, il est blindé de thunes, j'suis sûre que quand il prend des dégats il perd des pièces comme Mario.

L'officière Hayes avait une sorte de don pour parler aux gens. Elle jouait parfois les négociateurs, et arrivait à faire descendre les gens suicidaires du toit des immeubles. Peut être était-ce juste l'une des rares flics avec de l'empathie.

- C'est ça. Fais marcher ta magie. Rajoutai-je, mimant un sort avec mes doigts.

Je me retrouvai seule. Devant moi, dix minutes sans surveillance dans un commissariat charbonnant suffisamment pour me laisser le champ libre.
Parfait.

Avec moi, je connaissais deux autres personnes impliquées dans la recherche de mes camarades. Elles me supervisaient, et je me devais de leur fournir toutes mes découvertes.
Le Lieutenant Slash Enspecteur Heath, et l'Officière Hayes.

Me glissant en dehors de la salle, je marchais tranquillement en direction du bureau de ma bien aimée collègue. Depuis le temps que je venais ici, j'avais pris connaissance de la disposition de chacune des salles où travaillaient les hauts gradés, ainsi que la disposition des caméras. La logistique a toujours été mon truc, après tout. Une opportunité de regarder les retranscription de ces dernières m'a permis de repérer quelques angles morts qui me permettraient d'atteindre mon but tout en disparaissant du champ de visions de ces petites créatures scotchées au murs. Pour le reste, il n'y avait bien entendu pas de caméra dans les bureaux, seul le temps allait jouer contre moi.
Je suis désolée Hayes, mais mes propres intérêts avant tout.

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Ouf.
A ce rythme, rattraper les bourdes de KC deviendrait progressivement ma principale source de travail. Bon.. Je ne pouvais pas la blâmer. Je devrais expliquer aux gens ce que j'attends d'eux. Je n'aurais pas dû la lancer sur cette improvisation sans filet de sécurité alors que c'est de mon métier qu'il s'agit.
Brown n'aura pas été compliqué à convaincre, même s'il ne le faisait pas par gaieté de coeur. Tout ça, on le faisait pour sa propre sécurité, et il semblait le comprendre.

Arrivés dans la salle d'interrogatoire, pas de signe de KC. Où était elle passée ? Je laissai le civil rentrer,  regardant derrière moi, dans le couloir. Elle s'était peut être dit que ça ne marcherait pas, et était retournée débriefer avec le lieutenant ?
Une voix me sorti subitement de mes réflexions.

- Yo. On y retourne ?

KC était revenue. Dans ses mains, deux gobelets. Deux de plus. La fumée qui s'en extirpaient me fit comprendre qu'elle était parti chercher des cafés.
Je souriai, puis la fit rentrer et refermai la porte derrière moi.

- Bon, j'accepte d'écouter les modalités, que vous vous présentiez Mademoiselle et, après, je verrais.

Mh.. Ce n'était pas prévu, ça. KC n'avait même pas réussie à prendre son rôle de policière à coeur, je ne pense pas que...

- Ummm.. Qu'est ce que je dois dire sur moi ? La blonde lâcha, posant par la même occasion l'un des cafés sur la table. Moi, c'est O'machin, je suis hystérique, et j'aime les longues promenades sur la page...

A ce moment, je m’apprêtai à reprendre les rênes de la discussion, mais quelque chose avait changé dans le regard de KC.
Ce n'était pas juste une blague. Elle semblait réellement irritée.

- J'ai regardé ce qu'on dit de vous sur Ukato.

Aucun d'entre nous n'avait daigné s'asseoir. Le plaignant n'était même pas si loin de la porte, comme s'il ne s'était pas encore décidé sur s'il voulait véritablement rester. KC, quant à elle, commença à touiller lentement le café qu'elle tenait dans les mains, marchant lentement dans la pièce étroite.

- Un mutant.

Elle posa les yeux sur son café.

- Riche.

Sans le quitter des yeux.

- Qui a inspiré les terroristes responsables de l'Effondrement.

Qu'est ce que tu évites de regarder, KC ?

- A vous seul vous représentez tout ce que 95% de la ville déteste.

Est ce que c'est moi qu'elle évitait de regarder ? Elle s'attendait à ce que je la stoppe complètement ? Elle n'aurait pas totalement tort, je restai vigilante à chacun des mots qu'elle prononçait. Mes poils s'étaient déjà hérissés lorsqu'elle fit mention de l'Effondrement.

- A peine arrivé à Starfish et vous vous faites hameçonner. C'est un miracle, et je dis bien un MIRACLE que ca n'ait été que quelques gosses. Et pourtant, ces quelques gosses vous ont caillassés en beauté. Vous allez faire quoi lorsque vous sortirez, et que les autres types qui ont eu la patience d'attendre 5 heures cachés devant le poste de police vont vous prendre en filature avant de sortir un flingue au moment opportun ?

KC releva subitement ses yeux vers Brown.
Depuis le temps, je savais qu'elle détestait avoir à se présenter à quelqu'un ou de devoir justifier de ses compétences, et travailler avec le Lieutenant Heath n'aidait pas, lui qui s'attendait à une preuve de bonne foi constante et ne laissait aucune marge d'erreur.

- Des cas de groupuscules racistes qui s'en prennent à des mutants, j'en ai vu des tas dans cette ville. Des tueurs en série, tout autant. Des fans de super héros morts qui veulent venger leur vedette par tous les moyens, j'ai dù m'en occuper d'un pas plus tard que ce matin. Tous ces types sont à des kilomètres de ce que vous pourriez imaginer en terme de violence. Ils en ont fini avec vous avant même que vous n'ayez eu le temps de réaliser qu'ils étaient là.
Alors oui, vous avez deux choix. Vous pouvez faire confiance aux gens qui savent de quoi ils parlent. Ou bien vous pouvez décider de franchir à nouveau les portes du commissariat et partir.
Mais vous allez mourir.

Un malaise s'installa dans la salle. Le genre de tension que je pouvais couper au couteau, avant que KC ne reprenne.

- Je suis la personne susceptible de vous sauver la vie, c'est tout ce que vous avez besoin de savoir sur moi.

- J’accepte de vous engager comme garde du corps.

C'est fou le nombre que choses avec lesquelles j'arrivais à m'en tirer depuis que je me faisais passer pour une flic. Sortir ce genre de tirades était quitte ou double, mais dans d'autres cercles le "quitte" signifiait généralement une conséquense plus brutale et violente qu'un simple client qui s'en allait. Je pourrais presque y prendre goût, tiens.

Au départ, Brown n'avait pas l'air de savoir exactement quoi faire de moi. Est ce que c'était une présentation "audacieuse" ? C'était certainement en dehors des règles policières. Il pouvait s'imaginer que j'étais la "bad cop", celle que l'on voit dans les séries déambuler à tire-larigo dans les rues de San Francisco, celles qui fait appel à "Huggy les bons tuyaux", Deep throat et autres indics à la morale douteuse, celles qui sortent "Je démissionne" en faisant claquer leurs insigne et leur arme de service sur la table du boss moustachu, peu avant que celui-ci ne réplique "Vous ne pouvez pas démissionner, vous êtes virée".
Mais, en sa qualité d'acteur, sans doute était-il au courant que ce genre de flics ne pouvaient exister dans un monde où 80% des citoyens ont les moyens corporels de mettre n'importe qui d'imprudent 4 pieds sous terre.
Hélena, elle, sous ses airs de gentille flic, interprétait parfaitement l'expression que je qualifierais de "une main de velour dans un gant de velour aussi". Elle m'avait fixée comme si elle avait vu un fantôme, semblant avoir retenue sa respiration suffisamment longtemps pour en battre le record mondial, et ne redescendit de son nuage uniquement que lorsque notre "client" l'interpella.

- ... J’apprécie d’autant plus qu’elle s’est donnée la peine de se renseigner sur un potentiel client en si peu de temps.

Indirectement, ce type avait tout à fait compris la nuance entre mon taff et celui de l'officière. Voilà pourquoi nos méthodes n'allaient jamais être entièrement compatibles.
Les flics protégaient des citoyens. Moi, je protégeais des clients.
Honnêtement, si je n'avais pas été impliquée dans cette protection policière, ils auraient tôt fait de le forcer à accepter une cette offre avec un tout autre angle d'attaque. Probablement sans lui demander son avis. La justice avant tout. Moi, habituellement, je devais convaincre mes clients qu'il était préférable pour eux d'avoir quelqu'un pour surveiller leurs arrières, et que c'était nettement plus avantageux que d'avoir, disons, des impacts de balles dans le bide. Mais même si je pouvais être aussi prévoyante et sortir les mêmes âneries, même si je tentai de juger le caractère de chacun et que j'anticipai leurs réactions, toutes ces techniques n'étaient régies que par cette belle déité universelle dénommée La Chance.

"Pleines de qualité". Hah. Pure improvisation saupoudrée d'assurance. A cet instant, la chose qui me différenciait d'Héléna est que je n'avais pas besoin d'obéir à tout type de procédure légale pour arriver à mes fins. Seule les limites de mon code moral dépendaient. Ce qui me rendait beaucoup efficace qu'elle.
En quelque sorte, le métier de Gardien de la Paix n'était qu'une facade de mensonges pour donner l'impression qu'un semblant d'ordre pouvait être controllés par nous, pauvres pécheurs. Autrement, comment de simples êtres de chairs et de sang faillible pouvait représenter une justice infaillible ?

Brown souhaitait que nous gardions une distance professionnelle. Je crois qu'il avait interprété mon manque de préparation pour ma nouvelle identité comme ma position officielle. Puis, lorsqu'il souleva la question de la paperasse, Helena souligna qu'il restait en effet quelques papiers à signer. De la paperasse pour confirmer les faits, notamment. Quant à moi, on me briefa rapidement.
Demain matin, la protection rapprochée commencera officiellement et, pendant ce temps, le poste allait s'occuper de s'informer sur leurs agissements via Ukato ainsi que retrouver les trois délinquants. Leur portraits robot donnaient des signes distinctifs façilement repérable, et puis ils savaient déjà par où commencer à chercher. De mon coté, légalement, la protection policière que j'offrais ne devait dépasser trois jours. Mais, encore, je n'étais pas flic.

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Il devait être aux alentours de minuit et demi. Tout avait été remplis en règle, le type avait été raccompagné à son domicile, et, jusque là, aucun incident n'avait été à déplorer. De mon coté, je n'avais aucune raison de rester ici plus longtemps. Ou tout du moins, pas avant demain. J'attrappai ma veste, dit au revoir au Lieutenant Heath dont les yeux ne s'étaient pas dévissés une seconde de son ordinateur, et pris la porte.
Dehors, les lumières des lampadaires se reflétaient sur l'uniforme aux reflets bleu de l'un des flics.
Il y a dix minutes, Hélena m'avait dit qu'elle s'en allait. Assise sur les marches à l'entrée, elle semblait faire apparaitre une poche de vapeur par accoups. L'air était trop chaud pour que je ne prenne cela pour de la buée.

- Qu'est ce que je vois là. Je commentai, récupérant par dessus son épaule la cigarette de ses deux doigts. Je pensais que ca tu devais arrêter.

D'abord surprise, la jeune officière ne pouvait que se trouver devant le fait accompli. Toujours assise, sans même tourner la tête en ma direction, elle inspira.

- J'ai découvert aujourd'hui que ca ne serait pas la cigarette qui causera ma perte, mais l'arrêt cardiaque que tu vas finir par me causer si jamais tu refais ce que tu m'as sortie aujourd'hui. Puis, comme si elle venait tout juste d'y repenser, Officière O'Malley.

Je ricanai. L'humour ne la sauverait pas.

- Tu penses qu'aujourd'hui, c'était dangereux ? Demain, je passerais à l'armuerie pour récupérer les armes et aller protéger ton petit VIP. Et là, tu verras ce que j'appelle une vraie KCerie. A demain, petit ange. Je m'éloignai, écrasant la clope de ma semelle au passage.

Je ne pouvais pas être si néfaste, après tout.
Une fois suffisamment éloignée, je m'assurai que j'avais encore les documents volés dans ma doublure.