"Cherchez les nombreux regards". Je mis mon téléphone en veille et le rangeai dans ma poche. Mon tramway arriverait bientôt à destination non loin du lieu de notre rendez-vous. Au terminus de Bigtree.
Je profitai de la foule qui descendait du transport afin de scanner les environs tout en me fondant dans la masse.

Ce lieu, je ne l'avais pas choisi par hasard : J'en avais eu assez des alters. C'était dans ma nature, je n'ai jamais aimé ces trucs, et, au vu des récents événements j'arrêterais d'essayer de les tolérer une bonne fois pour toute dans mon cadre professionnel.
Il me fallait un endroit où je ne me sentirais pas épiée, ni analysée en secret. Ici, personne ne sonderai mon esprit à la recherche de mon passif, ou n'essayerai de me manipuler à distance. Si quelqu'un devait me poignarder, qu'il le fasse en me regardant dans les yeux.

En volant des infos confidentielles, je savais que je m'aventurais en terrain glissant. En l’occurrence m'inquiétais en priorité des infos que ma puce GPS dans le cou pourrait transmettre. Pour faire profil bas, il me restait un atout dans ma manche; les flics pouvaient bien me tracer en permanence, encore fallait-il qu'ils retrouvent ma trace une fois sur place, et me reconnaissent dans la zone, le tout sans avoir à arrêter chaque piéton qu'ils croiseraient.
Il existait ce principe de "personne grise" avec laquelle j'étais familière. En théorie, cela permettait à quiconque de suffisamment préparé de s'immiscer dans une foule sans se faire remarquer. Un de ces trucs dont on ne pouvait jamais être sûr que ça fonctionnait jusqu'au jour où, à l'inverse, ça ne marche pas.
Pour se faire, j'avais fourrée mes cheveux dans un bonnet gris uni recouverte de la capuche de mon sweat. Les mains dans les poches, j'avais aussi planquée une pochette dans mon manteau, celle renfermant les documents scannées que j'avais récupéré au poste de police.
Dans mon froc, mon Beretta était à portée de main, chargé. On était jamais trop sûr.

"Cherchez les nombreux regards". Merci pour l'énigme, je voulais justement me faire un Escape Game.
Qu'est ce que j'étais censée retrouver maintenant ? Était-ce un code pour me dire de chercher un lieu rempli de caméras ? Combien de personnes seraient sur place ?
Je soupirai d'exacerbation. Bientôt, la nuit commencerait à tomber. Ce qui ne faciliterait pas ma tâche.
J'en étais même venue à envisager de les recontacter, en lui demandant un indice, une précision ou simplement un message dans le genre "t ou".. Avant que mes yeux ne se portent sur une individu assise bien en évidence.
A force de chercher la réponse à une énigme, ou un type en trench coat au détour d'une ruelle sombre, je m'étais complètement aveuglée. La solution, la vraie, était droit en face, et elle était vêtue de la tenue la plus colorée à dix lieues : Ces dégradés d'ultraviolets mélangé de rose et de bleu perçants rendaient mes vêtements aux tons neutres et passe partout obsolètes. De là où je me trouvais, je décelais aussi quelques étranges motifs. Un sentiment de vallée dérangeante parcourra mon échine, sentiment qui s'expliqua très vite lorsque ces mêmes motifs clignèrent en ma direction. Les nombreux regards.
Quand on regarde l'abîme...

- V1z1-on ? Je m'adressai à elle, comme un premier date organisé en ligne.

M'approchant avec précaution, je mis une main dans mon manteau.. Et sorti la pochette.

- J'ai oublié ce qu'était le nom de mon compte mais euh.. C'est moi, pour le rendez-vous. J'ai amené tout ce que j'avais.

Dedans, une dizaine de documents; Certains agrémentés d'images, d'autres annotés de commentaires au stabilo. Il y avait quelques rares détails que j'avais pris la précaution de passer au marqueur noir afin de les masquer. Cela concernait toutes les informations sur mon ancien nom ainsi que toutes les mentions de l'origine du papier; Je n'admettrais pas qu'elles provenaient de la police tant que je ne serais pas certaine que le contact n'ai aucune relations avec eux.
De manière plus précise, les papiers étaient pour la plupart suffisamment techniques pour que je n'y comprenne pas grand chose : Des cordonnées GPS, des données chiffrées, des codes 10. Cela me faisait retourner en enfance que de dire que je n'avais pu que regarder les images. >La dernière page<, un résumé factuel des personnes d’intérêt, avait attiré mon attention par sa simplicité et sa sobriété. Enfin une piste lisible qui me fit comprendre que je n'avais pas fait chou blanc.

- Tout est là dedans. Je fis une pause afin de la laisser observer le fruit de mes recherches, puis ajoutai en guise de conclusion : On a pas parlé d'argent, mais je paierais ce qu'il faut.

Une intermédiaire, mh ? Une stratégie intelligente. C'était à se demander l'importance de cette fameuse agence. Combien de personnes cela concernait-il ? L'individue en elle même, par contre, était.. Excentrique. Très loin de l'étiquette que je me faisais de l'espion grisonnant à l'air sombre. La jeune ado, habillée de couleurs extravagantes, agissait presque comme si nous nous connaissions depuis des années. Peut être était-ce une autre stratégie pour passer inaperçu. Une conversation si agitée ne pouvait pas être si secrète.

Sous ses airs pétillants, je devais admettre qu'elle cachait un talent d'observation aussi prodigieux qu'inquiétant. Elle devait avoir l’œil... Mauvais jeu de mot voulu. Même si, pour tout avouer, je n'avais pas essayée de me faire discrète en arrivant en ville. Menacer son colocataire et se friter avec la mafia locale, j'entendais; Mais intérieurement, j'espérai que ses connaissances à mon sujet s'arrêteraient à ça.
En tout cas, son attention se déporta de moi. Elle semblait avoir trouvé son compte dans les feuillets. Pas des petits rigolos, c'est le cas de le dire; Je ne sais pas de quoi ils étaient capables aujourd'hui, mais si ils n'ont pas fait de break depuis la dernière fois où nous avions bossé ensemble, cela ne présageait rien de bon. Cette pensée, mêlée à ce sentiment d'impuissance devant l'inconnu me fit frémir.
Avant de prendre place, je jetai un coup d’œil aux environs. Mis à part les quelques personnes qui attendaient au terminus de la gare, il n'y avait grand monde dans les rues. Peut être faisait-il trop froid pour que les gens aient envie de se balader. Faisant fi de la dizaine de globes oculaires qui m'auscultaient de toutes parts, je voulais m'assurer que personne ne nous espionnerait. Difficile à déterminer, la rue où nous nous trouvions n'était qu'éclairée par quelques plantes fluorescentes.

"Bénévolement". Mh. Ce mot ne me rassurait pas.

- Non non non.

Déformation professionnelle oblige, j'avais du mal à faire confiance aux gens qui n'acceptaient pas de travailler pour quelque chose en retour. De la thune, spécifiquement. Cela signifiait qu'ils avaient généralement d'autres motivations, parfois intangibles, parfois trop vagues pour réellement se demander ce qu'ils pouvaient bien en tirer. Si vous ne payez pas, vous êtes le produit.

- Je ne sais pas sur quoi vous avez eu l'occasion d'enquêter jusque là, mais des types de cette envergure vont nécessiter des recherches. Des indemnités pour les témoins. Possiblement même de l'équipement si il faut agir sur place. Le simple truc d'allumer son ordi reviendrait à avoir une perte nette, et je laisserais pas cette affaire s'arrêter brusquement à cause d'une facture trop élevée. Je m'occuperais du financement. Il n'y a pas à discuter.
Et, de mon coté, si la recherche traînait trop ou s'arrêtait, ce serait la mort assurée. Qu'ils soient capables de travailler sans profit ou non, je ne pouvais quand même rien négliger.

Après quoi, je pris place sur le banc, toujours aussi peu à l'aise.
Cette vie était... Différente. Moi qui avait connu connu les John Doe à l'allure louche et les militaires grisonnants, voilà que je me mettais à bosser avec des ados agitées et des vampires Russes.

- Okay. De ce que je comprends.. Lui et elle, je déclarai, pointant du doigt les deux premières fiches du dossier, ils seraient dans les parages maintenant que leur petite excursion en Alaska est terminée. Scott est en ville, ou du moins l'a été cette semaine. Je ne sais rien de plus pour le reste. Il doit y avoir des informations que je n'ai pas sû déchiffrer.

Bien entendu, j'évitai d'aborder le sujet du dernier individu. Si elle me demandait, ce que je dirais à propos de "North", c'est qu'est qu'elle a déjà été appréhendée, et toute ressemblance avec moi ne serait que purement fortuite.

Je me perdis dans mes réflexions un instant, tenant un semblant de stratégie que je tentai de m'expliquer à voix haute avant qu'il ne se perde dans mon esprit.
- Mh.. Retrouver Scott serait le plus simple. Mais à bien y penser pas forcément le plus facile ni le plus utile. Je sais qu'il s'est séparé du reste du groupe depuis longtemps... Et qu'il est actuellement recherché par une des mafias locales. Je ne sais pas laquelle, mais ils avaient l'air de parler Espagnol. Des types qui auraient accès à des uniformes de travail. Si ca te dit quelque chose. Sur cette dernière phrase, je relevai la tête en direction de l'adolescente. J'ignorai à quel point elle se retrouvait impliquée dans cette affaire, mais si ils l'avaient envoyée ici, c'est qu'elle possédait un potentiel d'investigation.