Le 23 novembre, 9 jours après le discours du maire de Starfish et 6 après celui du secrétaire d’état Bogoliath, marquait le point culminant de transmissions d’informations massives qui avaient eu lieu au sein de la police. Une opération d’importance était en train d’être mise en place, et elle faisait quelque peu jaser, que ce soit par mail, téléphone, ou à la machine à café. On avait, de façon plus officielle, envoyé des messages en dehors des forces de l’ordre : entres autres à la campbell academy, dont les étudiants étaient invités à participer à l’intervention. Il en allait de même pour certains outsiders, héros ou civils « lambdas », qui s’étaient une dizaine de jours plus tôt à peine déplacés jusqu’à Manhattan. D’autres encore, n’avaient pas libéré New York, mais étaient connus des services de police comme pouvant se montrer … Utiles. Tous ces effectifs supplémentaires non professionnels n’étaient cependant pas voués à être seuls : plusieurs officiers venant d’autres états étaient également présents. Quoi qu’il se trame, cette intervention allait être lourde …

Elle avait trois objectifs, dont deux étaient implicites. Redorer le blason des forces de l’ordre, que les aqua-force avaient, pour starfish, énormément –peut-être trop ?- épaulé lors de l’effondrement et dans la période qui avait suivi. La disparition des héros avait déclenché des vagues de crimes qui, dans tout le pays, demandait clairement qu’une autre institution faisant respecter la loi et l’ordre s’installe dans le vide provoqué : il était temps pour la police de prouver qu’elle était cette institution. L’autre objectif « caché » était dans la même veine, mais contraire : envoyer un message cette fois-ci aux criminels et malfrats, pour leur signifier qu’ils n’étaient pas autant en sécurité que ce qu’ils pouvaient penser. Quant à l’objectif premier …

L’homme fort de ce coup d’éclat était un capitaine de police, qui avait fait le déplacement depuis le Nevada pour l’occasion, même s’il n’était pas certain qu’il ne reste pas dans les environs de Starfish plus longtemps que prévu. C’était lui qui avait géré beaucoup des aspects logistiques de l’opération, qu’il s’agisse des équipements, des forces de polices et héroïques en présence, ou du plan d’action général qui serait suivi. Travaillant comme un forçat depuis des années, son rythme de vie effréné avait coûté à son corps, qui affichait déjà une chevelure intégralement argentée et des rides prononcées alors qu’il n’était même pas proche de la cinquantaine. Il continuait cependant de vivre pour son travail, et les derniers jours n’avaient pas fait exception : bousculant le Shérif Moore et la hiérarchie établie au sein de la police de starfish, il avait passé assez d’heures au bureau en une semaine et demi pour achever presque un mois de travail, et ne semblait pas près d’être satisfait tant que l’opération n’avait pas été clôturée et couronnée de succès.


Le message suivant avait été transmis par mail le 21 novembre. Si le nom qui le signait n’évoquait sûrement rien, l’adresse mails de l’expéditeur était des plus légitimes.

Citation :

« Citoyen de starfish.
Que vous soyez un héros licencié, en cours d’apprentissage, ou simplement un civil ayant à cœur la protection de l’ordre et de ses prochains, ce message vous est adressé car vous avez dernièrement fait preuve d’un courage exceptionnel et que vous avez agi pour le bien commun en participant au sauvetage de New York.

Les autorités de Starfish sont en ce moment-même en train de préparer une opération d’une envergure moindre, mais qui pourrait s’avérer tout aussi dangereuse. Il est préférable de garder un maximum d’informations sous silence jusqu’au jour J, aussi ce message n’en contient que très peu, mais vous êtes invités à vous rendre au commissariat de Starfish le 23 novembre à 18h pour un briefing de mission d’une durée d’une heure et demi. Nous vous demanderons d’apporter une pièce d’identité, une autorisation parentale d’intervention héroïque pour les mineurs (voir pièce jointe si applicable), ainsi que, si vous en avez, des documents tels que le permis de port d’arme ou des autorisations d’utilisation d’équipements de catégories A et B.

Là où, il y a quelques mois, nous nous serions tournés uniquement vers des héros professionnels et entraînés, nous faisons aujourd’hui appel à vous, sans pour autant vous obliger à quoi que ce soit : votre participation sera appréciée à sa juste valeur, mais elle doit avant tout reposer sur votre volonté à nous assister, et ne sera en aucun cas forcée si vous revenez sur votre décision en recevant de plus amples informations.

En vous remerciant par avance d’accuser la bonne réception de ce message, pour votre temps et potentiellement votre présence.
Cordialement.
S.J. Winters. »

A la date donnée, le commissariat connu une étrange et inhabituelle affluence : en fin d’après-midi, des gens se présentaient à l’accueil, et étaient immédiatement redirigés sur leur droite. Invités à monter l’escalier menant au premier étage et à se rendre dans la salle de conférence B, ils y étaient installés sur des chaises de plastique, devant une estrade et un tableau blanc, sur lequel une présentation était projetée. Des rafraichissements – gobelets et thermos de café, de thé, ou d’eau fraiche - accompagnés de biscuits et autres snacks étaient mis à disposition en attendant que tout le monde se soit installé. A 18h05, le capitaine en personne rentra dans la salle, qu’il traversa en observant rapidement la petite assemblée. Il n’y avait, au total, pas plus d’une vingtaine de civils, ce qui n’avait rien de surprenant. Beaucoup partiraient probablement durant le briefing. C’était dommage, mais il avait besoin de mains volontaires, mieux valait se débarrasser des tirs-aux-flancs dès à présent. Les forces de l’ordre, quant à elles, comptaient vingt-cinq hommes et femmes entraînés et motivés. Il connaissait certains d’entre eux personnellement.

Mesdames et messieurs, bonsoir. Je suis le capitaine S.J. Winters, ou plus simplement Winters. Je suis la personne vous ayant convié ici ce soir et, pour ceux d’entre vous qui accepteront de fournir leur assistance à la police, je serais également le chef et coordinateur des opérations.

Comme je vous l’ai fait savoir dans le mail qui vous a été envoyé l’autre jour, aucune des informations qui seront exposées ce soir ne sont vouées à devenir public, et ce sous aucun prétexte. La réussite de la mission, et la sécurité des officiers de police comme la vôtre, en dépendent. L’opération, intitulée « Plague », aura pour but de neutraliser et de capturer une terroriste d’envergure internationale se trouvant actuellement à starfish. Cet individu est très dangereux, possède des contacts, des informateurs, et n’hésitera pas à prendre des otages ou des vies si cela peut nous empêcher de l’atteindre. Elle possède également des capacités qui font de son corps une arme extrêmement dangereuse, aussi est-il capital de la prendre au dépourvu pour minimiser ses chances de s’échapper ou de se répliquer.

Une fois encore, tout ce qui sera dit dans cette salle ne doit la quitter sous aucun prétexte, et ce que vous décidiez de participer à l’opération ou pas. Je vais d’ailleurs dès à présent inviter ceux et celles d’entre vous qui ne pensent pas participer à nous laisser, bien que je puisse vous assurer que vos dossiers et éventuels rôles respectifs ont été soigneusement étudiés et attribués en amont.

Il y eut un petit moment de silence … Puis, une première personne se leva de son siège. Le regard bas, elle passa devant une ou deux personnes de sa rangée, puis quitta la pièce. Une seconde la suivit, en prenant au passage un mini pain au raisin sur le « buffet ». L’expression du capitaine resta de marbre, ne jugeant nullement ceux qui préféraient éviter le combat. De son expérience de soldat, les affrontements se gagnaient autant avec le mental qu’avec les atouts tactiques, physiques, ou autres.

Bien. Je vais dans un premier temps faire un exposé clair de la situation, puis une explication des différents plans d’action possibles : le déroulement « idéal », et … Les moins idéaux. Je vous inviterais ensuite à vous présenter personnellement à vos camarades, puis à poser des questions si vous en avez.

Le ton n’y invitait pas particulièrement, mais la pause que marqua le capitaine suite à cette phrase était à même de faire douter … Peut-être qu’il invitait déjà celles et ceux qui en avaient à poser des questions. A moins qu’il n’étudie simplement les visages de chacun pour déceler ceux que le stress mettait déjà mal à l’aise.

Si le capitaine n’avait pas changé d’expression ou affiché le moindre ressenti en voyant des gens quitter la salle quand ils y avaient été invités, il laissa en revanche un claquement de langue sonore se faire entendre lorsque quelqu’un prit congé de façon … Irrévérencieuse, et ce malgré le fait qu’il l’ait appelée. Il n’eut aucun mal à identifier la fautive, et se nota à lui-même de faire remonter l’incident à l’académie héroïque, qui serait plus à même de lui faire comprendre que d’une part, on ne regardait pas son téléphone quand on était convoqué par la police, et que d’autre part, la discipline et le respects des protocoles ne pouvaient pas impunément être bafoués comme cela venait de se produire … Pas si la jeune femme voulait devenir une héroïne professionnelle, en tout cas. Sans s’attarder plus longtemps sur l’incident ceci dit, il se rapprocha de son pupitre, sur lequel était posé un ordinateur portable qu’on avait préalablement branché et mis en marche, pour pianoter dessus un instant. Le diaporama préparé pour cette présentation s’afficha sur l’écran blanc derrière lui, et la première slide comprenait 3 photos, mises cotes à côtes, d’une silhouette bien particulière. Un individu de petite taille, féminin à n’en pas douter, à l’apparence purement et simplement « démoniaque » : peau noire marquée de rouge, cornes, cheveux absurdement longs qui naissaient rouge sang et se décoloraient rapidement pour atteindre des oranges flamboyants, griffes, jambes d’animaux qui n’étaient pas sans rappeler les serres d’un oiseau de proie. Les clichés étaient, pour deux d’entre eux, pris de loin et assez flous, mais le troisième était plus net, et aussi le plus récent : les plus attentifs pouvaient presque reconnaître les silhouettes de miss waldorf et d’un des civils blonds présent dans la salle, dans le fond de l’image. Il avait été pris juste avant l’opération de libération de New York. Se tournant vers les photos, le capitaine commença à s’exprimer d’une voix ferme.

Voici notre cible, une super-vilaine se faisant appeler « Vergetelheid ». Aucun autre alias officiel connu, mais on sait qu’elle est originaire de Russie, que c’est une mercenaire et tueuse à gage dont les services sont extrêmement onéreux … Nous savons aussi qu’elle est en activité depuis plus d’un siècle, dont les 30 dernières années, sur notre territoire.

L’information provoqua une ou deux réactions : elle avait de quoi dérouter, après tout. Passant à la diapositive suivante, qui était en réalité une vidéo, le capitaine attendit qu’un calme parfait revienne avant de la lancer. L’extrait provenait d’une caméra de surveillance de qualité « bonne », sans être excellent. On y distinguait pourtant très nettement la petite silhouette d’une sale brute compacte et très énervée se jetant au corps à corps sur des adversaires difficiles à identifier, qu’elle mettait à terre un a un. Pour la plupart, de façon définitive. La qualité de l’image faisait d’ailleurs parfois office de censure pour des visuels qui n’étaient pas pour les personnes sensibles. Certains des adversaires utilisaient visiblement des armes à feu, sans effet. Le combat se passait dans un entrepôt quelconque, et dura environ 30 secondes. A la fin d’un « échange » de coups particulièrement unilatéral, la petite démone mit un coup de griffes dans un bidon proche qui commença à répandre son contenu sur le sol. Quittant ensuite les lieux, elle sortit du champ de la caméra … Et quelques instants plus tard, un objet enflammé décrivit un arc-de-cercle pour tomber dans la flaque de produit, qui s’enflamma aussitôt. Le bidon explosa quelques secondes plus tard et propagea un incendie qui atteignit rapidement la caméra. L’absence de son avait donné à la scène entière un côté surréaliste.

Une des raisons principales pour lesquelles cette super-criminelle n’est ni très connue, ni très recherchée, c’est qu’elle opère généralement sous couvert, et que ses interventions peuvent se faire au détriment de partis civils … Mais ont majoritairement pour cibles d’autres criminels. L’enregistrement que je viens de vous faire visualiser date de 25 ans, et l’entrepôt où il s’est déroulé était situé juste au-dessus d’un site de production de méthamphétamine. Le propriétaire était en conflit avec un autre gang … Alors l’autre gang a simplement engagé Vergetelheid pour saccager l’endroit au-delà du récupérable et tuer autant d’hommes que possible. Diapositive suivante. Une une de journal, datée de 1993. Un fait historique que certains apprenaient lors de leurs études supérieures, mais qui avait été oublié par le plus grand nombre. Cependant, « majoritairement » ne veut pas dire toutes. Il y a un siècle et 6 ans désormais, Vergelheid, qui portait à l’époque le surnom de « petite apocalypse », a mis à mort un gouverneur américain. Et ce, le jour de son investiture, 20 secondes environs après le début de son premier discours à ce poste. Et si cette … « opération » est la plus spectaculaire et celle sur laquelle nous avons le plus d’informations, c’est très loin d’être la seule où elle a pris pour cible un personnage publique, qu’il s’agisse de héros, de personnalités politiques, de célébrités ou autres chefs d’entreprise.

Diapositive suivante. Un portrait-robot de la petite tueuse, permettant plus clairement d’identifier les traits de son visage ou son allure globale, ainsi que quelques statistiques.

Ses capacités exactes restent floues, mais voilà ce que nous avons pu établir de façon plus ou moins sûre en compilant des années et des années d’archives. Son corps, comme je l’ai mentionné plus tôt, dépasse en quasi tout point l’humain normal : sa force, son endurance, et sa résistance n’ont plus aucune commune mesure avec celle d’un adulte classique. On sait qu’elle peut soulever plus d’une tonne, que ses griffes sont à même de percer le métal, et qu’en dépit de sa taille, elle pèse facilement plus de 150, peut-être même 200 kilos, avantage qu’elle utilise énormément dans son style de combat. Elle manie également un certain nombre d’armes de façon professionnelle, et même si elle peut manier des armes à feu, c’est principalement une adepte du corps à corps. Pour le côté défensif, son épiderme résiste aux balles de petits et moyens calibres, son ossature peut vraisemblablement encaisser n’importe quel impact, l’électricité semble circuler à travers son corps sans l’affecter comme elle le ferait avec un individu normal, et elle a parfaitement cicatrisé de toutes les blessures qui lui ont été infligées au cours des dernières années. Elle est également, et c’est pour cela que j’ai tant insisté sur le côté « secret » de cette opération, extrêmement portée sur les informateurs : si nous avons la moindre fuite, vous pouvez être certain qu’elle aura disparu bien avant que nous ne tentions de la capturer. Le capitaine marqua une pause, mains posées sur le pupitre, et balaya lentement l’assemblée. Avec un portrait pareil, je suppose que certains d’entre vous se demandent s’il est possible de la vaincre. La réponse, bien entendu, est oui.

Diapositive suivante : une autre vidéo. Une grande avenue sur laquelle un combat avait visiblement déjà fait de sérieux ravages. Les fans de super-héros ne devaient pas avoir de mal à reconnaître le costume d’un des belligérants : il s’agissait d’une des premières tenues officielles du « symbole de la paix », le héros japonais All might. Lequel était aussi grand et large que son adversaire était petite et menue. Le contraste ne s’arrêtait pas là : il avait des couleurs claires et chaudes, elles ternes, sombres. Il représentait un idéal de la justice … elle portait un sac de billets de banque. Et contrairement à la vidéo précédente, elle ressentait clairement chacun des coups qu’elle prenait : certains l’envoyaient même voler. Mais elle se relevait, et contre-attaquait à sa manière : en balançant des boites à lettres, des morceaux de voiture, en arrachant des poteaux du sol pour s’en servir comme de massues. Dans l’ensemble, cela n’avait pas beaucoup d’effet sur le blond aux deux mèches caractéristiques, à part parfois le ralentir dans ses mouvements ou les gêner de façon significative. Certaines frappes directes l’envoyèrent voler vers l’arrière ou l'encastrèrent dans le décors ceci dit, et à plus d’une reprise, la petite démone parvint à renverser la force du mastodonte contre lui, même si cela ne lui permit pas de prendre l’ascendant sur son adversaire. Il « termina » l’affrontement d’une façon assez peu surprenante pour ceux qui le connaissaient : d’un uppercut qui envoya la petite diablesse voler, lui faisait percuter la façade d’un immeuble aux environs du 6 ou 7ème étage. D’un bond, il rejoint l’endroit où il avait envoyé son ennemie, mais il fut aussitôt soufflé en arrière par une explosion massive, qui fit trembler tout le bâtiment. L'enregistrement s'arrêta là, et un des policiers présents dans la pièce chuchota à son voisin que le symbole de la paix avait évacué quasi tout le bâtiment, mais qu'il n'avait pas retrouvé le corps de son adversaire dans les décombres. Elle n'était réapparue que plusieurs mois plus tard, ceci-dit. Le capitaine reprit la parole.

Comme je vous disais plus tôt, la force de notre cible dépasse de très loin celle de l’humain « classique ». Mais elle est loin d’être la méta-humaine la plus puissante de la planète. Le combat avec All-might que vous venez de voir en est une preuve, mais ce n’est pas la seule occurrence où elle s’est retrouvée dominée physiquement par plus puissant qu’elle. Et même si sa résistance est extrêmement élevée aussi, elle n’est pas infinie : subir des dégâts assez importants semble pouvoir la neutraliser de manière durable. Elle « résiste » mieux à des températures extrêmes que l’individu lambda, mais la façon dont elle a toujours cherché à s’échapper des incendies dans lesquels elle était prise indique qu’ils peuvent également être une faiblesse. Et enfin, bien plus intéressant pour nous … le capitaine changea une nouvelle fois d’image, affichant cette fois la petite tueuse dans le hall d’une banque, portant un genre de fusil sans crosse … et un masque à gaz. Elle ne semble pas dotée de résistance particulière aux drogues et toxines. Cette image provient des enregistrements de sécurité d’une banque de Paradice, qui a été braquée il y a quelques semaines. Pendant le braquage en question, une arme chimique diffusée sous forme d’aérosol a été utilisée sur la zone. Le fait qu’elle ait eu à s’en protéger au même titre que ses camarades prouve qu’il s’agit pour elle d’un point vulnérable.

Retroussant sa manche pour observer sa montre, le capitaine se saisit ensuite de son téléphone, envoyant un message avant de le reposer, et de passer à la diapositive suivante.
Contrairement aux précédentes images, celle-ci n’était pas extraite d’un enregistrement de sécurité quelconque. Les images montraient ce que les novices pourraient confondre avec un pistolet totalement ridicule, mais que les gens ayant un minimum d’expérience ( « minimum » sous-entendait avoir joué à un jeu vidéo de type FPS dans leur vie –ou- avoir vu un minimum d’armes à feu) pouvaient aisément reconnaître comme des lance-grenades. Sans l’échelle, difficile à dire quelle taille les projectiles faisaient. Ils étaient d’ailleurs montrés juste à côté de l’image de l’arme : des sphères, de couleur verte ou brune. Les deux autres équipements présentés sur l’image étaient un style de masques à gaz qu’on semblait avoir modifié  pour qu’ils puissent offrir une protection face aux chocs et impact, et d’étranges bracelets, extrêmement épais.

C’est donc par cet angle que nous allons attaquer. Notre petite tueuse se cache plus ou moins en plein jour, dans un immeuble du centre-ville ayant subi un incendie il y a plusieurs mois de cela. Bien que nous n’ayons jamais réussi à surveiller ses déplacements, elle a été vue se rendant à cet endroit à plusieurs reprises au cours du mois, où elle passe généralement ses nuits. Le plan A consiste, très simplement, à tirer une volée de grenades fumigènes contenant un produit soporifique très puissant et volatile, qui devrait être à même de l’assommer. Utilisant un pointeur laser, le capitaine désigna les masques. Une évacuation discrète de la zone sera effectuée au préalable, et tous les personnels présents porteront ces casques, qui prémuniraient contre les effets de l’aérosol. Une fois la cible neutralisée, nous l’évacuerons de l’immeuble et la mettrons dans un fourgon blindé spécialisé qui nous permettra de la transférer vers un centre de très haute sécurité.

Trois coups distincts furent frappés à la porte d’entrée de la salle de réunion, suite à quoi un officier entra. D’une démarche vive, il rejoignit l’escouade, serra la main du capitaine en le saluant brièvement, et lui remit une mallette. Le capitaine le remercia discrètement avant de le congédier, attendant qu’il sorte de la pièce pour ouvrir la mallette … Et en sortir un des lance-grenades affichés derrière lui.

Un timing parfait. Ceci, donc, sera notre principal angle d’attaque si le plan A ne fonctionne pas comme prévu. Ces lance-grenades compacts nous sont fournis par l’entreprise Ironclad, un fournisseur d’équipement pour la police fondé par le secrétaire d’état Bogoliath, qui a dernièrement reçu de lourds financements. Le rechargement s’opère par l’arrière de la culasse après chaque tir. C’est donc une arme à un coup, spécialement conçue pour tirer les munitions suivantes. De son pointeur laser, le capitaine désigna les sphères vertes, puis brunes. Respectivement, une dose de l’aérosol que nous utiliserons au domicile de la cible, dans une balle qui explose à l’impact pour une diversion rapide. Si elle parvint à éviter la première salve, un tir au visage devrait la neutraliser. L’aérosol n’est, bien entendu, pas efficace plus de quelques dizaines de centimètres autour du point d’impact, et la portée effective n’excède pas les 40 mètres. Au-delà, tirez en cloche si vous vous en sentez la capacité, ou abstenez-vous. L’autre munition contient un gel auto-émulsifiant et à durcissement extra-rapide. Tirez dans le pied de quelqu’un, et s’il n’a pas bougé dans les 5 secondes, il se retrouve collé au sol par une matière solide et qui ne se désagrègera pas avant plusieurs heures. Même si la personne se déplace ceci-dit, la matière est extrêmement visqueuse et collante, et elle formera automatiquement une entrave particulièrement résistante qui ne peut être aisément retirée qu’avec certains solvants bien précis, dont nous disposons évidemment. Je n’ai pas besoin, je suppose, de vous préciser qu’immobiliser la cible avant de l’endormir serait le mode opératoire idéal. Du travail d’équipe et une bonne coordination seront requises.

Je suppose que je n’ai pas non plus besoin de détailler pourquoi ces « casques à gaz » protègent les voies respiratoires et le crâne. Enfin, les menottes magnétiques. Nous n’en aurons que trois paires à disposition, pour des raisons de coût, d’efficacité, et une volonté d’éviter de mettre nos effectifs en danger. Un bracelet est supposé aller sur un poignet de la cible, l’autre sur sa cheville, les deux s’activent et subitement, toute la super-force que peut déployer notre adversaire est mobilisée pour empêcher sa jambe et son bras de se coller. Il n’existe cependant pas de « méthode simple » pour les mettre en place : ils doivent être placés de force sur la cible. Ces équipements ne seront donc utilisés que par les personnes compétentes, dans une situation qui minimise les risques pris.

Le capitaine passa encore une slide par réflexe, mais arriva sur un écran noir qui signifiait la fin de la présentation, conformément à ce qu’il pensait. Il coupa l’ordinateur, et écouta les différentes personnes présentes s’introduire. Un certain nombre d’officiers était sans alter, mais ce n’était pas pour cela qu’il les avait recruté … Ou justement, c’était pour d’autres compétences qu’ils avaient pu développer qu’il les avait pris dans le groupe. Dans l’ensemble, ces hommes et femmes étaient braves, expérimentés et du type « personne de terrain ». L’un était entraîné et pouvait prétendre à une formation de tireur d’élite, un autre pratiquait plusieurs sports de combats et instruisait nombre de nouvelles recrues au corps à corps. Dans l’ensemble, rien de bien surprenant … Mais ceci étant, le capitaine les connaissait tous. Les civils, en revanche, avaient des profils plus variés. Certains étaient héros professionnels, d’autres en apprentissage, et d’autres encore, de simples concitoyens. Ceux-là se reposaient plus que la police sur leurs alters, et c’était logique : ils ne disposaient pour la plupart pas d’années d’expérience et d’entraînement leur permettant d’avoir l’avantage sur quasi tout type d’adversaire … Quasi. Leur cible était un individu qui cumulait plus d’expérience et de force physique que n’importe qui dans la pièce. Les pouvoirs individuels de chacun allaient rééquilibrer les choses … Et il fallait espérer que cela plus les équipements dont ils seraient pourvus leur permettraient de l’emporter. Lorsque chacun ou presque eut fini de s’introduire, le capitaine retroussa sa manche gauche, exposant son avant-bras. Ce dernier était étrange … Orange. Des vaisseaux sanguins et ses os étaient visibles. Sa peau ne semblait pas non plus naturelle, trop lisse et translucide. Puis, subitement, elle se déploya et forma un bouclier personnel qui claqua contre le sol et dépassa le capitaine, qui était pourtant un homme de grande taille.

Comme mentionné plus tôt, je suis le capitaine Winters. J’ai 46 ans, dont 25 passés dans l’armée et la police. Mon alter, « Warden’s shield », se manifeste sous la forme d’un gel ayant remplacé les tissus de mon avant-bras gauche. Quand je le déploie, il permet de diffuser l’énergie cinétique, absorbant même les impacts les plus puissants. Je peux protéger jusqu’à 3 personnes, après quoi la protection devient trop fine et peut être percée même par des projectiles de petit calibres. Je dispose d’un contrôle quasi absolu du gel, mais je ne peux former d’objets proprement « solides » avec. Si vous n’avez pas d’autres options, je peux vous fournir un point de repli et de soutient. Le policier rétracta son gel et remit la manche de son uniforme en place, saisissant sa bouteille d’eau sur le pupitre. La débouchant, il toisa l’assemblée. L’opération débutera demain matin à 10 heures. Il serait préférable que vous restiez tous dormir à la caserne qui se trouve à deux rues d’ici pour ce soir, où vous aurez un petit terrain d’entraînement vous permettant de vous familiariser avec l’équipement. Avez-vous des questions ?

Un des policiers présents dans la pièce leva la main. L'officier lui accorda la parole dès qu'il eut fini de se désaltérer.

Agent Porter ?
Mon capitaine, vous avez dit que les armes à feu de petits et moyens calibres n’étaient pas un moyen de combattre efficace. Pourquoi ne pas déployer des snipers sur la position ? Et est-ce que les agents de terrains et héros seront autorisés à utiliser des armes à feu ?
Je vais répondre à votre dernière question par une autre interrogation. Avez-vous déjà fait face à un ours avec un petit calibre ?
Non, mon capitaine.
Et bien si un jour vous vous retrouvez face à un ours brun  avec un pistolet 9 millimètre, voici mon conseil. Tirez en l’air pour l’effrayer, faites le mort, ou fuyez. Parce que vous ne parviendrez, à moins d’avoir une chance folle, probablement pas à le tuer avant que lui ne vous ai foncé dessus et mis à mort. Une situation similaire s’applique au cas présent : les tirs d’arme de poing n’étant pas à même d’incapaciter la cible, je vous demanderais d’éviter d’en faire usage. C’ est une tueuse à gage, professionnelle dans une certaine mesure, et dont nous savons qu’elle évite autant que faire se peut les dommages collatéraux s’ils sont inutiles. Mais « autant que faire se peut » ne veut pas dire systématiquement. Quant à la première question, la réponse est simple. Comme vous avez pu le voir, le plan de capture repose, avant tout, sur une utilisation de la force non létale. La cible est une criminelle qui doit être soumise, capturée, et incarcérée puis jugée pour ses crimes. Pas mise à mort comme un animal.

Nous avons vécu un tournant de l’histoire de notre pays. Un tournant sombre, qui a été marqué par la perte sanglante de ceux qui incarnaient la justice et l’espoir de ce pays, et dans lequel les forces de l’ordre sont mises à mal par d’autres forces qu’elles n’ont pas été formées à maîtriser. Nous avons presque tous ici été personnellement affectés par cela. En arrêtant cette terroriste, nous ne faisons pas qu’appliquer la loi, et nous ne sommes pas juste le bras armé de la justice. Nous prouvons au reste du continent, à nos concitoyens … Au monde, que nos valeurs prévalent, et que nous pouvons nous redresser, mettre ceux qui nous menacent derrière les barreaux. Mettre une balle dans la tête de la cible et passer à la suivante … C’est son boulot, à elle. Pas le nôtre.

Le ton, s’il s’était parfois montré hésitant, restait ferme et résolu. Le capitaine n’envisageait vraisemblablement même pas l’échec. La dureté avec laquelle il venait de parler se dissipa l’instant suivant, alors qu’il reprenait une expression bien plus neutre et avenante.

Avez-vous d’autres questions ?