Sans trop de surprises, je ne supportais déjà plus la vie dans un 5m².
L'argent n'était plus un aussi gros souci qu'au départ. De l'oseille, je pouvais m'en faire. J'avais compris où chercher, j'avais déniché des "amis d'amis", et je réalisai quelques contrats façiles en tant que freelance. Rien de frivolant pour ne pas m'attirer les foudres de la police tout en restant sur une paie convenable. J'en avais aussi profité pour me faire envoyer ma grosse malle que j'avais déposé dans un conteneur que je louai depuis 2 ans. Les coûts de livraisons avaient beau être exhorbitant, le jeu en valait la chandelle : C'était là où se trouvait mon ancien accoutrement, quelques babioles sentimentales, ainsi que 3 000$ en petite coupure, negligemment cachés dans la doublure d'une lourde veste en cuir. Cela représentait les seules affaires que je possédais.

Il était temps de plier bagages !

Je crois que la goutte de trop a été lorsque j'ai réalisé que la salle de bain était commune avec tous les gens du bâtiment. Une douche pour au moins 7 autres personnes, imaginez qu'il faut se reveiller à 6 heures si vous voulez espérer bénéficier de l'eau chaude. Il y avait aussi ce sentiment de "retourner en cellule", je suppose ? Même si je n'avais pas besoin de le partager avec 4 autres types, l'endroit était plus petit que mon ancien dortoir, ce qui n'était franchement pas le plus cosy.

Hier dernier, profitant du wifi du voisin, je me baladais sur ce merveilleux outil qu'était Ukato, et découvrit presque par hasard une proposition d'appartement. Spacieux, pas loin des commerces, bien éclairé et pas trop cher si on l'y mettait à plusieurs. Une bonne aubaine. Forcément, je me suis jetée sur l'occasion, et maintenant me voici, mallette à la main, attendant qu'on m'ouvre les portes. Je m'étais arrangée avec un autre type pour faire de la colocation, cela nous permettrait de faire moîte moîte avec le loyer.

Où était-il, d'ailleurs ?

Spoiler:

Passé un certain temps, une silhouette encapuchonnée munie d'une épaisse valise s'approcha de moi. Quelqu'un d'autre voyageait léger à ce que je vois. Malgré son air louche et le fait que je ne pouvais voir son visage, je ne m'en faisais pas plus que ça. Dans nos brefs échanges, il m'avait semblé être un bon gars, et puis Paradice avait beau être un quartier de "débauche", les gros bonnets la maintenaient aussi sécurisée que possible. C'était peut être même le seul quartier où ce n'était pas la police qui faisait la loi et où le taux de criminalité restait malgré tout convenable.

- Mh bonjour, moi c’est Archibald. Vous devez être la colocataire ?

Les bras croisés en l'attendant, je jetai un coup d’œil au bâtiment que nous allions habiter ensemble. C'est vrai qu'au final, il s'en était débarrassé bien vite. Je me demandais si cela avait quelque chose à voir avec la réputation du quartier. Peut être que ses anciens habitants en avaient marre de vivre à coté du tumulte des commerces. Peut être étaient ils morts.

- KC. Et vous devez être...

Je retournai les yeux vers lui. Il y eu une petite pause dans ce que j'étais en train de dire lorsqu'Archibald retira sa capuche.

- Un nua...

J'avais passé la plus grande partie de ma vie à vivre dans une communauté de gens sans pouvoirs ni transformation quelconque. Avoir vécu dans ce genre de cocon à l'abri d'un ennemi que ma famille m'avait inventé m'avait beaucoup influencé, au point que si j'avais passé ma vie de mercenariat à traquer des gens dotés d'alter, ce n'était pas complètement pour rien. Même si je tentais de me convaincre du contraire, j'ai toujours continué de voir ces types comme arrogants et hautains, comme si ils valaient mieux que nous, le reste de la population.
Et voilà que, 10 ans plus tard, j'allais partager un appartement avec un type avec une tête de nuage.

- ... Qu’en pensez-vous ?

Lorsque je repris mes esprits, une paire de clés se balançaient juste en façe de mes yeux. Tout le long de la visite, je m'étais contentée de regarder l'homme nuage inspecter scrupuleusement chaque pièce avant de revenir vers moi. Si Archibald m'avait dit quelque chose, je n'avais rien écouté.

- Euh... Tout à fait, oui ?

Passant la tête dans l'une des pièces, je remarquai une grande salle vide dotée d'une sorte de placards aux ports coulissantes; Elle était à elle seule beaucoup plus grande que mon ancien appart et dotée d'un plancher, c'était tout ce qui me suffisait.

- Euh ouais, j'pense que je vais prendre cette chambre. Si ca vous dérange pas. Enfin y'a pas de précipitations. Ah merde ah flûte.Précipitations sans le sens hâtif hein pas le.. La pluie, c'était pas pour... Oh fuck oh no Bref, j'vais rentrer ma valise, hein.

Une première impression plutôt bizarre... Mais on allait devoir faire avec, nous allions habiter ensemble pendant une période indéterminée après tout.
J’agrippai les poignées des deux cotés de ma malle, et la ramenai tant bien que mal à l'intérieur. Ce truc devait peser une tonne, qu'est ce que j'y avais foutu d'autre, déjà ?

Pénétrant à nouveau dans le hall de mon nouveau chez moi, je vis Archibald m'observer du coin de la pièce, là où je l'avais au préalablement laissé. Ah, un peu d'aide pour la porter, ça serait pas de refus...

- Bon. Cassé ? Je vous préfère vous prévenir… Je… je rentre parfois tard et je mange souvent à l’extérieur.

Oh.

- Okay. Pas de problème.

J'avais les mêmes plans, de toute manière. Travailler pour les flics signifiait aussi planques, horaires impossibles et bouffe improvisée aux quatre coins de la ville. Si j'avais réussi à supporter mon ancien appart jusque là, c'était parce que je ne m'y rendais uniquement que pour piquer une sieste express de 4 heures. J'allais passer à coté de lui, lourde malle au bout des bras, lorsqu'il m'interpella à nouveau :

- Mais peu importe ! Ce que je voulais dire c’est que…  On ne se connait pas alors ne me prend pas pour un guignole ! Ok ?

C'était un souci d’ego. Ma bourde l'avait visiblement blessé. Pas que cela ne m’embarrasse plus que ça, l'erreur était humaine et je suis persuadée que ca n'était pas la première fois que ca lui arrivait.

- Okay. Je répétai nonchalamment, manquant de lui passer à coté avant qu'il ne se dise que, visiblement, ce n'était pas assez.
- J’ai besoin d’en savoir plus. Qui es-tu ?

Je relevai légèrement les yeux. Archibald devait bien faire une tête de plus. Il s'était placé juste devant moi, les bras croisés. Ce n'était pas une position agressive ni défensive physiquement, mais il cherchait visiblement à me tenir tête, désormais.
C'était raté pour la première impression.

J'arborai mon sourire le plus innocent de mon répertoire.

- Je suis une mercenaire.

Je n'avais jamais tué qui que ce soit, c'est un fait. La plupart de mes boulots avaient été livraisons, petits cambriolages et rackets. Tabassages et neutralisation de dotés, bien que très dangereux, se comptaient sur les doigts d'une main Par contre, si tu veux pouvoir survivre dans ce milieu, il faut savoir mettre un masque d'illusion, une façade pour masquer ses véritables intentions et laisser son interlocuteur se demander : Jusqu'où est-elle déjà allée, jusqu'où est-elle prête à aller ?

- C'est à dire que des personnes me paient pour m'occuper d'autres personnes. Et depuis l'effondrement, c'est fou comment la demande a explosé en ville.

Je laissai une pause s'installer, avant de relâcher brusquement la malle sur le sol dans un bruit lourd.

- Oh.. Je serais ravie de continuer cette conversation, mais je dois d'abord ranger ça. Tu devrais faire de même avec tes valises, je crois qu'il va commencer à pleuvoir.

Archibald semblait avoir été prit de court par ma révélation. Parfait. Ses petites billes noires qui lui servaient d'yeux semblaient alterner entre moi et ma valise, comme s'il se demandait ce qu'une mercenaire comme moi pouvait bien transporter dans une malle aussi lourde.

- Ecoute…, dit-il, en prenant une grande inspiration. Je crois qu’on est mal parti tout à l’heure. Je ne veux pas de problème tu comprends. Excuse-moi si j’ai pu paraître un peu brusque.

J'haussai les épaules nonchalamment, lâchant un discret "c'est rien." tout juste inaudible avant que nous ne retournions tous les deux à nos affaires.
C'était bizarre, oui.

Je traînais mes quelques affaires jusqu'à ma chambre. Avec un peu plus d'inspection, je remarquai que quelqu'un avait laissé une armoire à demi brisée ainsi qu'un pot de peinture. Un problème pour la KC du futur. Je devais d'abord m'occuper de mes trucs.
La première chose qui s'extirpa de la malle fut une vague de poussière qui profita de l'appel d'air, enfumant le coin de la pièce dans lequel j'étais. Une preuve qu'en deux ans, personne n'avait essayé de l'ouvrir, je me disais pour tenter de positiver.
A l'intérieur, chaque chose était à sa place, et ce serait mentir de ne pas avouer avoir eu une pincée nostalgique.

- Saluuuut, toi~

J'en extirpai la première chose qui prenait le plus de place : Un vieux blouson de cuir noir, un peu délavé et usé par le temps mais rien d’irrattrapable. Celui-ci pesait un peu plus lourd que d'habitude. C'était dù à ce que j'y avais mis à l'intérieur.
Dans la doublure, j'y avais installé des protections supplémentaires. Une installation rudimentaire qui mériterait quelques menues réparations, bien sûr, mais qui avait eu le mérite d'avoir sauvé le dos et les épaules jusque là. Le cuir avait été imprégné d'un produit ignifugé, ce qui avait par ailleurs pour conséquence de vieillir davantage le textile.
Mais c'était mieux que rien. A l'intérieur, une poche laissait entendre un bruit sonnant, étouffé à l'intérieur d'une poche. J'y avais laissé quelques balles. Il ne me restait qu'à trouver quelque chose pour tirer avec.
Au fond, dans un coin, je récupérai aussi quelques menus outils, ainsi qu'un poignard customisé pour tenir à l'intérieur de ma cybermodification dans l'avant-bras. Il ne me restait plus qu'à le refixer correctement, et j'allais officiellement pouvoir être armée décemment. Chose rare depuis ma libération.
Je pris l'un des outils, et déboîtai brusquement le double fond de la malle. A l'intérieur, caché, trois mille dollars en petite coupure. Juste assez pour tenter de se re-procurer ce qui me manquait et payer le loyer de ce mois-ci, car si j'avais réussi à sauver quelques meubles, le reste de mon réel équipement avait été perquisitionné je-ne-sais où. Je ne partais pas de zéro, heureusement. Uniquement de l'étage juste au dessus.
J'allais devoir m'armer, et avoir la police au cul ne rendra pas la tâche facile.

- Ah putain, et il me faut un lit aussi. Je me marmonnai.

J'ouvris grand mes fenêtres avant de sortir de ma nouvelle chambre. Là, Archibald se tenait dans le salon, et profita de ma présence pour tenter de redémarrer une conversation comme si de rien n'était.

- Donc tu fais dans la protection rapprochée, la filature, les mises à prix ? … Ou bien tu as une sorte de… mh de domaine de prédilection ?

Curieux. Peu de gens posent cette question. Les gens ont tendance à me demander combien de personnes j'ai déjà tué. Pas que j'en ai parlé à beaucoup de monde, ceci dit. J'esquissai un sourire.

- J'ai connu des gens qui n'ont qu'un domaine de prédilection. Ils ont tendance à ne pas vivre très longtemps.

Je parlais tout en faisant les cent pas dans la pièce. Le salon faisait... Vide. En prenant l'appartement, j'avoue avoir complètement zappée le principe de devoir meubler les endroits où j'allais devoir vivre, quelque chose que que je ne pouvais avoir l'occasion de faire en prison, si ce n'est quelques simples posters sur le coin de ma cellule.

- L'idée c'est de rester polyvalent, rester actif sur le marché, rester ouvert d'esprit, et rester lucide sur ses propres capacités. Pourquoi, tu veux te lancer dans le métier ? Je répondais, grand sourire.

- Oh non. Je laisse ça aux cinglés… Enfin, aux gens plus compétents.

Okay.
Ouch.
Sévère mais juste.
Je devais l'admettre, c'était le métier idéal pour les gens qui n'envisagent pas de retraite. Tout moi en fait. Très tôt, j'avais appris à vivre du jour au lendemain et l'argent rapide et en cash, c'était typiquement mon plan d'épargne favori.

Le pauvre Archibald semblait loin de se douter qu'il allait crêcher avec une mercenaire, et donnait l'impression de vouloir mesurer ses propos. Cherchant, comme moi plus tôt, à changer de sujet avant de ne recommencer à insulter mon intelligence, il s'éclipsa vers la cuisine.

- Après, il parait que ça gagne bien. Non ?

De là, je pouvais entendre sa voix résonner contre les murs pour le moment bien vides. J'haussai les épaules, même s'il ne pouvait le voir.

- La paie est plutôt.. Pas dégueu. Je pourrais probablement trouver un emploi payé à peu près pareil et sans les risques, mais du coup.. Où serait l'amour du danger ?

Bras croisés, je venai m'appuyer contre le mur de la cuisine en le regardant faire ses trucs.

- Ah oui. Par contre, depuis ce truc de l'Effondrement, mon assurance vie est la même que celle des super héros. Elle couvre tout. Absolument tout ce qui est humainement imaginable. J'expliquai mollement, mimant par le reste de mes deux mimines : Par exemple, je pourrais sortir une arme et me tirer dans la main qu'ils me rembourseraient une paire de phalange bionique et m'offriraient le panier garni par la même occasion.

J'en avais déjà dit beaucoup à mon sujet. Si je continuais à en dévoiler, cela risquerait de devenir dur de me rappeler de tous mes mensonges. Fixant des yeux l'homme nuage qui venait de trouver un rat mort, je m'interrogeais.

- Okay.. A mon tour de savoir... Dans quoi est ce que tu travailles, Archibald ? Fis-je, d'un sourire non dissimulé.

Je me permis de le dévisager encore plus que d'habitude, et, de bas en haut, j'inspectai tous les indices qui pourraient me mener sur une piste..
D'une, Archibald était venu en tenue décontractée. Pas de costard, pas de chemisette. En plus de ne pas être de ce quartier, il connaissait les normes en matière de tenue. Je pouvais donc exclure tous les taff ennuyeux. Comptable, avocat, politicien...
De deux, il m'avait confié ne jamais avoir connu d'agent immobilier honnête. Excluant les jobs ennuyeux, c'était un type qui devait bouger régulièrement. Quelqu'un qui sait ne pas se faire entuber par les grands sourires et les présentations grandiloquentes. C'est dire, il s'était méfié de moi dès les cinq premières minutes de notre rencontre.
Trio, il voyageait léger. Il ne semblait pas apporter d'importance au rat qu'il venait de trouver. Il devait avoir l'habitude de vivre dans des trucs insalubres. Peut être la cave de ses parents, ou un placard à balai. Pourtant, l'appartement n'était pas donné. A part moi, qui pouvait bien passer du coq à l'âne, de la pauvreté à un salaire décent subitement.

Du type passe partout; voyageant beaucoup et léger; aux revenus incertains; aficionado des entourloupes et des bons plans...
Et puis c'est vrai qu'il s'était intéressé à ma paie.

- Aaah je sais...

Je claquai des doigts. Euréka. Tu ne pourrai pas cacher tes cartes bien longtemps avec moi, Archibald.

- T'es un startupeur. Tu vas lancer une nouvelle appli sur la météo ou un truc dans ce genre.

- Exactement… Oui la météo haha comment as-tu deviné ?

Bingo... ?
Difficile de savoir si Archibald transpirait, ou si c'était son alter qui le faisait pleuvoir.

- Oui, bien sûr. Pratique quand on… Prévoit le temps qu’il fait dehors hein… Il rajouta, pointant son visage-nuage. Logique.. ?

Est ce que c'était discriminant d'insinuer l'alter de quelqu'un en fonction de son apparence physique ? Oh merde, est ce que j'allais devoir commencer à me poser toutes ces questions maintenant que j'allais habiter avec un mutant ?
Réfléchissant à ce que pouvait bien manger un homme nuage, et si manger de la barbe à papa revenait à du cannibalisme, je remarquai subitement qu'il n'avait pas cessé de parler, comme s'il cherchait à se justifier. En fait, au vu de sa réaction, je sentais que je venais même carrément de le prendre de court. Archibald sorti la tête par la fenêtre, faisant mine de regarder le temps qu'il faisait, puis se retourna brusquement lorsque je me rapprochai et lanca :

- Mais bon… Pour l’instant ce n’est qu’un projet. Il me faut trouver une personne en informatique. Je ne suis pas assez doué pour faire ça moi-même… Tu ne connaîtrais pas quelqu’un ?

Okay, là c'est moi qu'il prenait de court. L'air aussi intriguée que confuse par la question, je réfléchissai quelques instants, juste assez pour ne pas me rendre compte à quel point celle-ci était étrange, en fait. Dans les "faits", j'étais une mercenaire qui arrivait tout juste en ville. En plus moi et l'électronique, ca faisait 2.

- Euh.. Non ?

Les bras croisés, quelque chose me turlupinait. Je passais peut être un peu trop comme quelqu'un de grossière non ? Je veux dire.. Okay, Archibald n'était pas la personne la plus à l'aise pour me parler de sa vie, ni même en général visiblement, mais en l'espace de dix minutes je l'avais menacé, je l'avais dévisagé et j'avais insinué par deux fois son affiliation avec mère nature. Ce que je faisais quand j'étais mercenaire, en somme. Mais ca ne passerait sans doute pas avec les civils, alors, peut être que je devais moi aussi faire un effort et prendre la chose comme un challenge plutôt qu'une requête bizarre.
Réflechissant quelques secondes, une piste pouvait se tracer; Je bossais bien avec la police. Il y aurait une chance non nulle qu'ils puissent me renseigner sur un ou deux de leurs nerds freelance qui cherchaient des contrats ?

- Enfin, non... Je veux dire, d'ici une semaine je devrais pouvoir trouver ça avec les contacts que j'ai. Si ca te dérange pas de bosser avec d'anciens flics.