Le port de Starfish est magnifique.
Le bruit des vagues arriverait presque à m'hypnotiser. Est ce que c'était ça, l'ivresse de la liberté ? Mes sens se retrouvaient-ils tous enivrés par ce que je décrirais comme le premier air marin depuis ces trois dernières années ?
Cela ne faisait pas si longtemps qu'on m'avait fait sortir de cellule. Deux semaines tout au plus. Officiellement, mon travail de mercenaire au service de la police de cette ville démarrait aujourd'hui.

Il y avait quelque chose d'ironique dans cette situation.

Quelque chose que je ne cernais pas tout à fait.

Peut être l'idée que, sitôt libérée, me revoilà prisonnière d'un tas de feuilles administratives et d'une puce GPS.

Ces derniers jours furent utilisés à bon escient. Il fallait organiser les préparatifs de mon arrivée et voir les dernières modalités avec mon conseiller judiciaire. Le même qui, deux ans plus tôt, n'avait pas réussi à m'éviter le bagne. Difficile de lui en vouloir quand il avait dù se faire l'avocat d'une "assassine de super héros", je devais quand même lui laisser le mérite de m'avoir évité la chaise électrique, et d'avoir eu suffisamment de compassion pour ne pas m'oublier et me recontacter.

Pensive, je restai encore quelques instants, là, à laisser le vent me souffler dans les cheveux.

A ma montre, il était presque l'heure.

Allons bon. Je n'allais pas le faire attendre plus longtemps.

Après une courte marche le long de la digue, pas loin d'une chaîne d'entrepôts quelconque, je pu constater que mon contact déjà arrivé au lieu du rendez-vous. Ainsi, au pied du quai et d'un regard plutôt morne, l'individu baissa légèrement yeux afin de regarder droit dans les miens.

- Commissaire Psellion, bienvenue.

Pas une poignée de main. Pas une once de sentiment. J'avais affaire à quelqu'un de formel.
Jusque là, les flics avec lesquels je m'entretenais paraissaient maintenir une façade, un faux semblant afin de donner l'impression que la situation était sous leur contrôle. En réalité, je sentais que leur période d'adaptation était très loin d'être tout à fait au point; Gérer des faux super héros; gérer des nouveaux criminels; gérer des mercenaires fraîchement sorties de prison, tout cela devait les dépasser eux, les grattes papiers slash faire-valoir des anciens super justiciers. Nouveaux héros malgré eux, se retrouvant sur le devant de la scène tandis que leur service pouvait être tout juste bon à maintenir des petits vandales derrière les barreaux.
Aux cotés de l'homme, un chien qui, comme un acteur attendant son signal, aboya à la demande de son maître. A sa taille, son arme de service correctement rangée dans son étui me fit clairement comprendre que nous ne serions pas là pour se promener le long de la berge.
Dans ses mains, un dossier. Sur la première de couverture, orné d'un trombone, je reconnu bien vite mon mugshot. Mon dossier.
Cela ne demandait pas une perspicacité légendaire pour comprendre que tout avait été fait pour souligner que, durant cette entrevue, le rapport de force serait en sa faveur.

- KC. J'éppelai en guise de réponse. Comme s'il ne savait déjà pas mon nom.

Je plantai mon regard sur le commissaire, occupé à tourner nonchalemment les pages de mon dossier. C'était un mutant. Sa peau bleu cadavérique ne laissait planer aucun doute. Pour un commissaire de police, il ne semblait pas plus vieux que moi, mais là encore cela pouvait être dù aux altérations physiques.
Mes yeux se tirèrent ensuite jusqu'à son visage. Sa réaction avait quelque chose de perturbante. Jusque là, chacune des personnes avec qui j'avais eu affaire laissait transparaître, d'une façon ou d'une autre, ses émotions. La pitié de mon avocat. La colère des flics. La panique de l'officière en charge de mon cas. Lui... Difficile à perçevoir quoi que ce soit. Il paraissait traîter mon cas comme si je n'étais qu'une simple civile dans un entretien d'embauche.

- Félicitation pour cette sortie de prison, ce n'était pas gagné.

Après avoir ausculté mon CV, l'homme releva doucement les yeux en ma direction, paré à démarrer l'entretien par une question piège.

- Avec un tel passif, j’avais réellement besoin de savoir. Le corps social de Starfish peut compter sur vous ? Ou vous comptez nous la mettre à l’envers ?

Je ne pouvais m'empêcher de ricaner, presque par réflèxe. Peut être le stress. Ou peut être que la question me paraissait trop candide. Quoi que je lui réponde, comment est ce qu'il pouvait être certain que je dirais la vérité ? Quelle valeur un haut gradé donnerait-il à un simple "je ne vous trahirais pas" de la part d'une mercenaire fraîchement sortie de prison ?

- Ne pensez pas que je n'y ai pas réfléchi.

Je souriai, innocemment.

- Ce qui différencie un bon mercenaire d'un mercenaire mort, c'est savoir évaluer le danger. Soit, la protection de Starfish est désorganisée et déboussolée et je pourrais prendre ça à mon avantage... Mais après ? Je n'ai nul part où aller, que ca soit sur cette île ou partout ailleurs dans le pays. Et cette connerie d'Effondrement m'a tout autant coupée l'herbe sous le pied qu'elle vous a rajouté du travail.

Si la confiance ne régnait pas de son coté, l'inverse était tout autant réciproque. Ce n'est que de bonne guerre.

- Sans oublier la puce GPS qu'ils m'ont implanté avant de me faire venir ici. Alors, est ce que le risque en vaudrait la chandelle ? Absolument pas. Je sais reconnaître une situation où je n'ai rien à gagner en faisant des vagues. Je vais juste m'occuper d'obéir bien sagement, et remplir ma part du deal.

Mais peut être viendra le moment où le vent tournera. Et pour ce moment, je devrais me préparer.

- Et moi ? Qu'est ce qui me dit que vous ne me la ferez pas à l'envers une fois que tout ça sera fini ? Je demandais à mon tour, croisant les bras par la même occasion. Je sais comment vous réglez les négociations dans les prises d'otages habituellement, lorsque vos snipers ont un angle de vue.

Nous avions commencé à marcher sur le rebord du quai. Peut être pour paraître plus naturel. Peut être afin de diminuer la suspicion de notre discussion auprès des rares passants. La beauté du panorama contrastait en quelque sorte avec ma situation et ce que le commissaire me disait par rapport à mon avenir dans les forces de l'ordre.
J'étais dispensable.
Loin d'être une surprise, son pragmatisme envers la protection des vies humaines eu quand même le mérite de me faire hausser un sourcil. Il semblait prôner un utilitarisme des plus extrêmes, n'hésitant pas à favoriser la quantité sur la qualité des personnes qu'il sauverait. Plutôt curieux de la part d'un représentant des forces de l'ordre censés protéger l'ordre établi. Laisserait-il le président mourir si cela impliquait de sauver deux de ses officiers ?

- Vous avez des modes opératoires spécifiques ? Des armes de prédilections ?

Les politesses et rapports de force passés, nous pouvions nous intéresser aux détails de la collaboration.
Au vu du regard qu'il me jetai, il paraissait réellement s'intéresser à la question. Un agréable changement par rapport à ses autres collègues.
De mon coté, je ne connaissais rien des modus operandi des flics depuis l'Effondrement si ce n'est qu'ils faisaient maintenant appel à n'importe qui pour les aider.

- Je m'adapte. Je lançai, d'une voix ferme.

Avec suffisamment de bouteille dans le mercenariat et détentrice d'une certaine expérience à l'armée, je m'étais familiarisée avec toutes sortes de stratégies, tout aussi frontales que subtiles. Mon dernier coup, celui dont j'étais la plus fière, avait sollicité à peu près toutes les stratégies à la fois. Beaucoup de récolte d'information, énormément de planification sur le terrain, et une attaque brutale mixée avec une grosse partie d'élément de surprise. Triste que cela fut aussi ma dernière avant que je ne me sois faite coincer.

- En ce qui concerne le matos, je continuai, vous pouvez me laisser me démerder... A moins que vous ne soyez d'accord pour me filer une arme anti-alter, mais j'ai cru comprendre que ces trucs vous sont encore un peu sensibles... Évitez juste de me demander à me saper comme une flic.

L'idée que j'avais derrière la tête, c'était de prouver que je pouvais agir indépendamment. Pas besoin de nounou pour me tenir en laisse. Pas besoin de puce pour me pister à la trace. Si je voulais quelque chose, je l'obtiendrais et cela vaudrait des deux cotés de la loi.

- Maintenant, je préfère prévenir qu'il va me falloir quelques... assurances dans le but de travailler de façon optimale. J'vais avoir besoin de deux trucs, plus exactement.

C'était la moindre des choses étant donné que je ne demandais aucune autre accommodation. Ce que je demanderais n'avait pour objectif que de me faciliter la tâche lorsque j'allais agir sur le terrain, et, jusque là, il ne m'avait pas paru être le type de personne à cracher sur l'efficacité de ses "troupes".

- Je n'y connais rien en paperasse. Toutes mes capacités, c'est sur le terrain, ou en direct avec mes contacts. Je ne sais pas remplir un formulaire, je ne sais pas comment on remplit une déposition. C'est à peine si je sais me servir d'Ukato pour payer mes impôts en ligne. Toutes les tâches administratives ne me feraient que perdre du temps et je ne veux pas avoir à m'en charger.

Je m'étais renseignée sur la méthode pour se procurer un gilet pare balle dans le cas où j'accompagnais la police sur le terrain. Une horreur. Impossible d'envisager de récupérer ne serait-ce qu'un stylo sans devoir passer par quarante protocoles différents.

Avant d'arriver à mon deuxième point, je me stoppai net sur la berge.

- Et il va falloir vous occuper de North.

North, c'était mon ancien nom de code.
Dans mon groupe, nous nous étions tous donné un surnom rapide à prononcer et distinguable les uns des autres. Une manière de protéger nos identités et de d'émanciper de la société. En plus, "North" c'est stylé. Je m'attendais à ce que le commissaire sache de quoi je parle, mais dans le doute je précisai le fond de ma pensée :

- Je m'explique. Officiellement, North est encore enfermée dans la Prison d'État de Pelican Bay. Officieusement, j'ai un statut qui se situe légalement entre le Witness Protection Program, et un contrat d'exclusivité en tant que mercenaire. En tant que commissaire, je me doute que vous avez le bras long.

L'air grave, mon regard ne s'était pas décroisé du sien.

- Une émeute, un assassinat, ou même de maladie, c'est pas important. Pas besoin de dérouler le tapis rouge pour mon cercueil non plus, j'me doute que mon corps aurait été balancé dans la fosse commune de toute manière. Il faut juste que North meure. Ça devrait pouvoir couvrir mes traces.

Ou tout du moins apaiser tout soupçon. Je ne savais pas ce que faisaient mes camarades actuellement, mais si l'idée de venir me voir en prison ne leur était pas venue en 2 ans, ils avaient sans doute d'autres chats à fouetter à l'heure qu'il est.

- Si l'un de mes anciens collègues découvre tous les détails que je vous révèle, il comprendra immédiatement que je travaille avec la police de Starfish. Ils me tueront ainsi que toutes les personnes qui m'ont cotoyé. Pour le peu que cela l'intéressait. Je cernais bien que le commissaire m'avait mis dans la case "dispensable", mais pas sûr qu'il accepte de prendre le risque que l'on assassine certains de ses officiers "dans le doute".
Je venais de jouer carte sur table, toutes mes "conditions" posées. Si on pouvait appeler ça des conditions. Il pouvait très bien refuser en bloc, et à partir d'ici je pourrais très bien essayer de me démerder toute seule.

- Maintenant, j'ai besoin de savoir, monsieur Psellion. Qu'est ce que vous attendez précisément de moi ? Est ce que vous me laissez carte blanche ?