Hey

Le téléphone, posé sur la table en verre, vibra. Subitement, l'écran s'éclaira, la seule source de lumière dans la pièce sombre.
Un grognement se fit entendre à l'autre bout. Un individu, amorphe, bougeait à peine dans une chaise inclinée jusqu'au maximum. Probablement en train de faire la sieste. Le grommellement se fit entendre une deuxième fois, le bruit de cuir de la chaise se craquelant tandis qu'il cherchait une position confortable pour retourner dans le royaume des rêves.

Tu es reveillé ?

Le téléphone vrombissa une deuxième fois.
Il l'était, maintenant.

Se levant péniblement de son nid, l'individu traversa lentement sa chambre, esquivant par la même occasion les nombreux restes de cartons de pizzas et emballages de nouilles instantanées qui jonchaient le sol. L'endroit n'était pas "sale" à proprement parler, mais semblait être dans un constant d'état d'"après fête", où les cadavres de nourritures et les bouteilles de bières s'entassaient au coin de chacun des meubles.

Oui.

Il répondit.
Le ton de ses messages se faisaient toujours secs, droit au but. C'était  peut être un peu dû à la barrière de langage. Ou bien qu'il n'était pas très bon pour faire la causette. Voire parler aux gens en général. A vrai dire, il devait être encore pire en personne.

Je voulais te dire que j'ai bien reçue le colis

Sa main se resserra un peu plus sur le téléphone.
Quoi ? Aussi tôt ? Et qu'elle est ce qu'elle en avait pensé ? Les vagues que faisaient les trois petits points qui annonçaient un deuxième message semblaient le narguer.

Elle me vont à la perfection !! Merci !! :)

Le visage éclairé de la seule lumière de son téléphone, Andréa souri avant de tapoter une réponse motivée par l'impulsivité.

Ravi que cela te plaise ! :)

Copier le style d'écriture de ses interlocuteurs était, pour lui, l'assurance de paraître plus chaleureux dans ses messages. Plus socialement normal.
Cela faisait quelques semaines qu'Andrea Csonka, plus connu sous le nom de Upyr sur la toile, entretenait cette relation à distance avec elle. Ils s'étaient rencontrés sur Ukato, dans une discussion de groupe de bricolage. Lui cherchait une marque pas chère de chevilles d'assemblage pour rigidifier une armoire, elle cherchait une technique pour réparer sa table qui présentait du jeu. Ils ont finis par s'entraider et, de fil en aiguille, ont continué à discuter en privé de tout et de rien.
De ce qu'il savait, elle était chocolatière. Ou du moins, c'était un de ses passe temps favoris, il n'avait pas vraiment osé lui demander ce qu'elle faisait dans la vie. Un jour, elle lui fit la surprise de lui envoyer directement à son atelier un lot de chocolat, prétextant "ratés" qu'elle ne souhaiter pas gâcher. Ils avaient l'air aussi réussis que délicieux, pourtant.

Quelques jours plus tard, elle lui confia qu'elle venait de malencontreusement casser ses lunettes.
Petit problème, son alter. Elle n'avait pas de nez ni de forme de visage "classique". C'était une mi-humaine, ni lézard. Faire réparer de telles montures chez l'ophtalmo demanderait un travail entièrement customisé à sa physiologie demanderait énormément de temps, et une certaine somme. Cette somme, elle ne l'avait pas. Elle voulait continuer de travailler avec une paire cassée qu'elle essaierais de faire tenir tant bien que mal pour le moment.

Andrea travailla d'arrache-pied pendant deux jours. En se basant sur des images de références qu'il trouva sur le profil personnel de la pâtissière, il confectionna des lunettes qui s'accrochaient directement aux tempes de la personne. Elle ne lui resterait plus qu'à y remettre les verres de sa monture précédente.
Aujourd'hui, tous ses efforts venaient de payer, et elle allait pouvoir continuer à voir sans difficulté. Il se surprit même à réellement sourire en face de l'écran.

A bien y penser, peut être pouvait-il faire plus.

Comme contrôlé par une impulsion, il saisis son ordinateur portable et l'alluma. Une idée lui avait traversé l'esprit.
Sitôt l'engin opérationnel, il ouvrit directement la page menant à Utako, si familière à ses yeux. Cela représentait bien 95% des relations sociales qu'il avait. Pas comme si il pouvait sortir dans son état et rencontrer d'autres personnes en chair et en os.

[DEMANDE TEMOIGNAGES] Artisan intéressé par vos problèmes causés par des alters physiques

@Упырь

12/07/97
12h23

Bonjour !! :)

Je travaille sur des machines depuis très jeune. Récemment j'ai travaillé sur une paire de lunettes pour l'adapter à une personne mutante. Cela m'a fait réaliser que il n'y a pas beaucoup de choses faites pour s'adapter aux mutants. Je trouve cela très injuste.
Avez-vous des idées de choses qui vous gênent et que vous aimeriez avoir facilité ? Je serais prêt à apprendre à faire ces choses pour faciliter la vie des gens.

Merci !! :)

Déjà fatigué, il éteignit l'appareil, et retourna se coucher.
Il devait être aux alentours de midi et demi.

Nous étions en plein été 2097, une canicule s'était déclarée sur toute la ville, et pourtant, "Upyr" se tapait une énorme grippe. Depuis une semaine, il ne pouvait que se déplacer de son lit à son bureau, de son bureau à son frigo, de son frigo au lit, et se traînant sporadiquement jusqu'aux toilettes. Pour vomir, parfois. Travailler deux jours complets non stop l'avait fortement affaibli, il en était certain.
Bien que s'il avait quelque chose à blâmer, c'était bien son alter.

Son alter.

Sa malédiction.

Leur bénédiction.

80% des gens sur Terre naissent avec un alter. Un pouvoir qui pourra, à petite ou grande échelle, leur changer la vie. Certains avaient plus de chances. Changer de taille. Cracher du feu à la demande. Des spécificités qui ne laissaient pas beaucoup de contraintes. D'autres ne se retrouvaient pas aussi chanceux; les mutants notamment, des gens qui devaient parfois adapter leur vie entière ou celle de leur famille, tout cela à cause de leur alter. Andrea avait entendu parler d'un type dont le pouvoir lui permettait d'exploser comme une bombe, rasant tout sur une énorme surface et le tuant au passage.
C'était bien le genre de nouvelles qui le faisait relativiser sur le sien.

Vivre avec son alter était compliqué physiquement, mais vivable mentalement. Il n'était pas désespéré. Il n'était pas envieux. Il n'était pas en colère contre lui même ou qui que ce soit d'autre. Il avait accepté son sort, aussi handicapant qu'il soit.
De l'autre, il avait la certitude que perdre son alter le tuerait. Son sang était un poison, mais c'était aussi le remède qui le guérissait et le maintenait en vie lorsqu'il attrapait quelque chose. Sans aucune autre forme d'anticorps, la moindre grippe saisonnière l'aurait déjà terrassé.
La transfusion de sang était, pour lui, une solution efficace. Temporairement. Un deal fut passé avec les établissement du don de sang : toutes les deux semaines, un coursier venait récupérer des poches de sang qu'il se prélevait régulièrement, ce contre quoi il lui était donné d'autres poches remplies de groupes compatibles qu'il pouvait s'injecter tout le long de la semaine. Cela lui permettait de diminuer les symptômes les plus handicapants. Ses migraines se faisaient moins insistantes. Ses vertiges se raréfiaient. Il pouvait ouvrir les volets sans avoir l'impression d'être un véritable vampire face au soleil.

Le téléphone d'Andrea le réveilla à 21 heures pile. L'heure pour lui de manger quelque chose, s'accorder quelques heures de répit et retourner se coucher. Rallumant son téléphone, à moitié endormi, tout ce que qui lui traversait l'esprit fut l'idée d'envisager une perfusion afin de passer une meilleure nuit.
Sur le moment, son post lui était sorti de la tête.

Ce n'est qu'en regardant les notifications d'Ukato qu'il réalisa l'ampleur de son message.
Des dizaines, des centaines de messages défilaient devant ses yeux. La plupart, des encouragements. D'autre, des questions sur la fabrication de petits outils utiles au quotidien et adaptés à la carrure du posteur, trouvant pour la plupart rapidement réponse au travers différents "trucs et astuces". Enfin, des propositions. Elles paraissaient suffisamment spécifiques pour que le jeune homme comprenne qu'il avait affaire à de réels mutants partageant leurs mésaventures. Partageant leurs anecdotes. Partageant leurs problèmes.
Il n'avait fallu qu'une étincelle pour que toutes ces personnes, si différentes et pourtant pas si disparates, se connectent entre elles.
Et Upyr allait avoir du pain sur la planche.
...

2098. L'hiver avait été plutôt clément jusque là, et, depuis l'addition d'un chauffage d'appoint dans son atelier, Andréa se sentait bien. Un sentiment rare pour lui.
Aujourd'hui, il donnait les touches finales de la grosse commande qu'il lui avait été faite en début de semaine. Un père de famille venait d'avoir un enfant à l'alter suffisamment particulier qu'il lui fallait changer toutes les poignées des portes et tiroirs de sa maison pour quelque chose de moins.. Traditionnel. Un travail impossible à trouver en grande surface, et beaucoup trop spécifique pour rester abordable si l'on venait à demander à des menuisiers professionnels.
Mais pas pour lui.
Grâce aux témoignages qu'on lui adressait régulièrement, il avait eu plus d'un an pour comprendre que chaque mutant avait un besoin spécifique. Cela lui avait permis de se concentrer sur le coté pratique de ses fabrications au delà de leur esthétique.

Il en était à la couche de vernissage lorsque son téléphone vibra. Un nouveau message. Peut être une nouvelle commission ? Laissant le bout de son pinceau dans sa bouche pour libérer ses deux mains, il débloqua son appareil.

Heyyyy !!

C'était elle.

Je voulais te dire ! J'ai passée les concours pour devenir une super héroine et.. J'ai été séléctionnée !! :)

Je me devais de te l'annoncer en premier, parce que c'est un peu grâce à toi !

Andrea souri.
C'était une excellente nouvelle.