Cela fait quelques semaines que ton diplôme traîne sur ton étagère, fraîchement sorti de Campbell, la logique voudrait que tu ouvres un garage ou peut-être intègre le monde héroïque dans un cabinet en temps que concepteur mécanicien ? Les hésitations sont vives et pourtant, rien de tout cela ne te satisfait, tu ne te vois peut-être pas t’aventurer dans ces domaines, du moins, en faire ton métier. Cette perspective satisfait ta mère qui se refuse à te voir entrer dans ce monde qui chaque jour semble lui faire un peu plus de mal. Elle n’est pas là aujourd’hui, te laissant seule avec ton père qui doit retaper une veille Ford Mustang pour un film à New-York. De son côté, allongé au sol, la truffe sur le tapis te lance un regard, curieux. Lui aussi se demande bien ce que vous allez faire. Après tout, c’est également son avenir n’est-ce pas ? Vous y réfléchirez avec l’estomac rempli. Malheureusement, tu sais que tu n’as pas le droit de piquer dans le frigo, sauf si on t’y autorise, en l’occurrence, ton père au sous-sol, le déranger n’est pas la meilleure idée du monde.

-Vas-y, j’te couvre.

Immédiatement, Lazul se lève alors qu’au contraire, tu t’allonges sur ton lit et fermes les yeux pour percevoir les sens de ton chien. Le monde à une perception bien étrange vu d’en bas, mais bon, tu t’y es fais. « Archéologie de Céos » est un moyen pour vous d’opérer sans être grillé et c’est ainsi que vous procédez pour vos petites messes basses. Il ne faut pas longtemps au chien pour trouver la cuisine et fouiller dans les placards (ouais, il est quand même sacrément intelligent pour un chien). Le museau du chien passe entre les paquets au chocolat, rien que l’odeur vous arrache une grimace, tous les stratagèmes sont bons d’après ta mère pour que tu cesses de fouiller. Toutefois, vous triomphez avec un paquet de chips qu’il s’empresse de vous ramener. C’est avec un certain plaisir que vous commencez à manger le fruit de votre larcin, mais tu es dérangé par la voix de ton père qui vient du rez-de-chaussée

-Descends, avec les chips, l’apéro sans bière, c’est bien moins agréable.

Un soupire passe le rictus de tes lèvres et tu descends, ton chien sur tes talons, se lèches les babines en jappant doucement pour en avoir encore un peu.

-Patience, ça viendra.

La porte menant sur l’extérieur et votre petit jardin est ouverte, ton père est assis sur le bord de la terrasse, une clope au bout des lèvres, le visage cerné, deux bières bon marché décapsulé. Il est entrain de caresser le berger allemand du voisin, qui le promène à cette heure tardive, Lazul en profite pour le renifler, comme chaque jour, tu te contentes de lui gratter les flancs, tu sais que ce chien adore ça et qu'il jappe frénétiquement de plaisir à chaque fois. Cette joie est communicative, un petit temps, le sourire qui se loge à tes lèvres est réconfortant.

-Pas un mot à ta mère.

-Santé.

Tu trinques avec lui, Lazul n’aura qu’un peu d’eau et quelques friandises. Il n’est pas rares que vous partagiez de tels moments avec ton père, pourtant, il est rare qu’il se dérange en plein travail alors qu’il part très bientôt.

-La Mustang avance bien ?

-Ils m’ont refourgué un cadavre bien conservé, j’ai tellement à retaper… S’en est affligeant. Il pioche dans le paquet en continuant. Et toi, tu tournes pas mal en rond, je ne savais pas que la cage de ta chambre te semblait si agréable… Tu ne vois même plus Ruby.

-Elle se prépare pour emménager à New-York, c’est loin un peu, puis son tuteur, je ne l’ai jamais aimé, il est tout ce que maman déteste…

-Laisse la donc se faire une expérience, plus tard vous travaillez peut-être ensembles, un sacré couple si tu veux mon avis.

-Hé ! Tu observes ton père qui sourit de toutes ses dents. Tu sais bien que je ne toucherais pas au domaine héroïque…

-Alors à quoi ?

-Je sais pas, c’est flou, je me vois mal être mécanicien toute une vie, non pas que je n’aime pas ça…

-Mais ça ne te ressemblerait pas, je sais mon fils. Il donne un coup de nez dans le vide en direction de ton verre. Bois, ça te fera du bien.

Tu portes cette bière à tes lèvres, observant le liquide légèrement mousser dans sa bouteille en verre lorsque tu la reposes à côté de toi, sous les yeux d’un chien très attentif.

-Tu es réellement obligé de choisir maintenant ?

-Oui ! Je dois pourtant cesser d’être un poids pour vous, financièrement déjà.

-Marc Aurèle serait bien peu satisfait de son disciple non ? Depuis quand tu t’infliges la charge de penser que nous sommes te considérons comme tel ?

Tu restes silencieux, un peu honteux de tes propos, il n’a pas tord. À quoi cela te sert-il ? Tu te dois de relativiser, il n’y a rien de négatif bien au contraire. Prendre son temps est une sagesse, car la précipitation entraîne souvent des conséquences inopinées et c’est entièrement de ta faute si ça arrive, car tu auras mal contrôlé tes réactions, un manque d’adaptation.

-Cela prouve que j’ai encore bien du chemin non ?

-Ho ça, oui… il regarde vers le ciel, quelques secondes. Pourquoi ne pas partir ? Une caisse, des kilomètres et un réservoir plein ? Ton regard étonné le fait rire. Après tout, voir du pays te ferait pas de mal et t’offrirais l’occasion d’observer le monde sous un autre angle, qui plus est, tu pourras aussi faire quelques petits boulots. Entre nous Onyx, on a aucun problème financier, une chance, ta mère ne cesse de croître dans le classement, j’ai de la chance d’avoir une certaine réputation, un petit pécule de départ ne nous forcera pas à la privation. Il jette un œil sur le paquet de chips vide. Alors que si tu continues de fouiner et de chiper comme un renard, ça va commencer à faire un trou béant dans nos comptes bancaires.

-Mais…

-Ruby ?

-Arrête d’anticiper !

-Bien, bien, continue.

-Merci. Je ne sais pas, un an loin d’elle, même si elle sera très occupée, je me dis que c’est quitte ou double ?…

-Laisse moi deviner, t’es jaloux de ce mec en fait là, le héros, t’as peur qu’elle change de laisse.

Tu lances un regard noir à ton paternel en même temps que Lazul grogne, faisant comprendre à ton paternel qu’il ne faut pas pousser. Sa seule réaction et de boire dans sa bouteille, finissant les chips.

-Prends la R17. Trouve-toi un endroit sur la carte américaine, passe y l’année, grandit, tu n’en ressortiras que plus fort. Tu auras le temps de savoir comment tu veux être un maillot fort de cette société que tu défends avec tant de convictions.

-Avant de se consacrer au groupe, il est nécessaire à l’individu de méditer sur lui-même et trouver sa liberté dans chaque forme de contrainte, physique comme mentale. Le stoïcien ne fait pas l’expérience du sacrifice, bien au contraire, c’est l’expérience de la pensée qui lui offre sa sagesse ?

-C’est ta façon de voir, mais tant que tu t’y retrouves.

-Je présume qu’apprendre à endurer le manque de l’être aimé est une façon de lui montrer son amour l’absence n’est qu’un problème si le corps domine l’esprit.

-Bien, je vois que tu commences à comprendre… N’oublie pas quelques ouvrages de Marc Aurèle.

-Je n’y manquerais pas, papa.

Discuter philosophie avec ton paternel fait toujours plaisir, un bon moyen aussi de corriger tes erreurs. C’est sans doute la dernière fois qu’il te corrige avant ton départ express. Vous finissez votre bière en silence, tu réfléchies longuement.

-Je partirais après demain, j’aimerai faire du rallye, autant apprendre à gérer des situations inédites.

-Les frais de réparation seront à ta charge, déconne pas non plus Onyx.

-Oui, je ferai attention, puis j’ai appris à la retaper, c’est pas comme si tu y passais quinze heures pour une seule balade avec maman tous les trente-six du mois.

-Une voiture parfaite, pour une femme parfaite, telle est la règle, il secoue doucement la tête. Puis maintenant, c’est à toi d’emmener ta future femme rouler sur la baie de New-York, autant que tu saches la conduire à la perfection.

La conversation s’achève là-dessus, vous rentrez pour manger. Le lendemain, tu t’occupes de préparer tes affaires le matin et appeler Ruby pour lui parler de ta décision assez soudaine. Un peu triste de ne pas te revoir, tu lui assures que vous vous reverrez bien vite. Que le manque n’existe pas, c’est une illusion d’un corps défaillant. Pour célébrer cette dernière soirées entre mecs, ton père à commandé deux gigas pizzas, des frites, des hamburger et des paris-brest au pâtissier français du coin. Après ce bon repas, vous passez en revue la voiture, ton père te confies le matériel nécessaire et un carnet de notes. La voiture est désormais la tienne, ton père s’offre juste le droit de la conduire de temps en temps avec ta mère, par plaisir.

Au petit matin, tes affaires sont prêtes, les clés en main après une accolade avec ton père, tu montes en voiture pour l’inconnu. Tu feras un détour par NY City pour faire une surprise à ta chère et tendre Ruby, que vous mangiez ensembles, voir passer la nuit, avant de partir définitivement. C'est au volant de ta première voiture que tu comptes devenir un adulte, prendre le temps de réfléchir à qui tu es et ce que tu veux devenir. Trouver les objectifs d'une vie à venir. Il est temps de passer la seconde, laissant ton coeur être bercé par le paysage américain dont l'aurore offre un panel de couleur agréable. Pour la première fois, tu conduis seul, Lazul à l'avant, parfois la tête hors de la voiture à profiter du vent.

Recap HRP: